Dans un témoignage qu'il a bien voulu écrire pour le livre d'Henri Godard L'Amitié André Malraux , paru cette année, Jean Grojean écrit “ On peut se demander si l'amitié n'aura pas été une dimension fondamentale d'André Malraux. Elle était faite d'un mélange de curiosité et d'admiration. ” . Cette amitié qu'il a partagée avec Marcel Arland, Louis Guilloux, Manès Sperber, Emmanuel Berl, Roger Marin du Gard, Romain Gary, Paul Nothomb, et d'autres encore, Malraux avoue l'avoir éprouvée aussi pour Georges Bernanos, dont la pensée et l'esthétique étaient pourtant assez éloignées des siennes. En effet, en 1975, dans l'entretien qu'il a eu avec Frédéric J.Grover, Malraux dit avoir eu “ une véritable amitié pour Bernanos ”. Et, comme pour se défendre contre tout ce que ce qu'une telle amitié pouvait induire en termes d'affinités spirituelles, il enchaîne : “ C'est une chose curieuse car nous n'avions pas deux idées en commun ” . Mais cette affirmation nous paraît sujette à caution, car Malraux s'est trop intéressé à la vie et à l'œuvre de Bernanos, comme nous le montrerons dans la première partie de cette communication, pour que cette amitié ne soit que l'expression d'une curiosité bienveillante. Les scènes “ d'une puissance extrême” que Bernanos a construites “ hors du monde des choses exactes ” , selon l'expression de Malraux, l'espace surnaturel dans lequel se meuvent ses personnages, la véhémence et la puissance de la prédication qui s'y élèvent, avaient sans doute de quoi séduire, sinon envoûter Malraux qui s'était défini lui-même comme “un agnostique sensible à la transcendance. ” ? Et Bernanos ne s'y était pas trompé non plus, comme en témoignent ces propos de Malraux qui a déclaré à Frédéric J Grover: “ Comme le général de Gaulle, Bernanos était surpris de rencontrer en moi un agnostique qui connaissait la pensée religieuse. ” Mais plus qu'une attitude purement intellectuelle, Bernanos a dû déceler dans la démarche de Malraux une quête spirituelle qui, peut-être par orgueil, refuse de dire son nom.
Nous voudrions dans cette communication explorer cette zone limitrophe où l'univers imaginaire de Bernanos recoupe celui de Malraux, et dessiner les contours d'un territoire esthétique et spirituel commun. Pour ce faire nous nous proposons de suivre le parcours de nos deux écrivains en scandant les temps forts de leur rencontre et de la convergence de leur point de vue sur le monde. Nous nous attacherons dans une seconde étape à éclairer les analyses et les commentaires que Malraux a réservés à certains romans de Bernanos- notamment Sous le soleil de Satan, L'Imposture et Journal d'un curé de campagne pour montrer en quoi l'univers de cet écrivain a été pour Malraux monde à part, en totale rupture avec l'esthétique et la foi de ses contemporains, faisant de Bernanos un exilé de l'intérieur. Nous tenterons enfin de pointer quelques uns des thèmes nodaux qui pourraient constituer la base d'une étude des affinités que l'on peut déceler entre l'univers religieux, éthique et esthétique de nos deux romanciers.
[...] - Discours prononcé à Brasilia, le 25 août 1959, in André Malraux, discours au Brésil, Rio de Janeiro, Minsitério da Cultura, Funarte, p.98. - Préface du Journal d'un curé de campagne, p.22. [...]
[...] Quant à Malraux, né en 1901, il fait partie de la génération suivante, celle qui sans avoir participé directement à la guerre, n'en ressentit pas moins le traumatisme. Dans les Antimémoires, Malraux, qui comme chacun sait, parle très peu de son enfance, rappelle cependant cet épisode relatif à la guerre de 14 qui l'avait profondément marqué : En 1914, on avait conduit les élèves de ma classe aux champs de la Marne, quelques jours après la bataille. À midi, on nous distribua du pain que nous lâchâmes, épouvantés, parce que le vent le couvrait de la cendre légère des morts amoncelée un peu plus loin. [...]
[...] Elle aussi, dédie un monde chrétien au Christ. C'est pourquoi il apparaît désormais aux portails, pourquoi il abandonne son royaume d'ombre. Et la sculpture lui apporte d'abord l'expression la plus rebelle à Byzance, à tout le christianisme pour lequel l'homme n'échappait à la déchéance originelle qu'en se délivrant de lui-même: l'expression de l'innocence. Mais le témoignage le plus éloquent de l'influence spirituelle que Bernanos a eue sur Malraux consiste, nous semble-t- il dans l'adoption par Malraux en ce qui concerne les tragédies de l'histoire d'un point de vue chrétien. [...]
[...] A la mort de Bernanos, en 1948, Malraux sera l'un des seuls écrivains à assister à ses funérailles. Aux funérailles de Bernanos, en l'église Saint-Séverin, à Paris, les seuls hommages officiels sont rendus par les républicains espagnols et par deux gouvernement d'Amérique latine, dont celui du Brésil. Aucune personnalité du monde des lettres, si ce n'est Malraux et Pierre Bourdan note encore Michel Estève. Nous trouvons dans les Antimémoires la confirmation de ce fait. En 1964, à l'occasion du transfert des cendres de Jean Moulin, au Panthéon, passant devant l'église de Saint-Séverin, Malraux se souvient des obsèques de Bernanos : pense à Bernanos, parce que je passe devant Saint-Séverin. [...]
[...] Son royaume à lui est de ce monde. Mais Satan, n'est pas le Maître de ce Monde. Dans sa préface pour la Journal, Malraux rappelle les protagonistes du drame bernanosien et retrouve pour décrire l'affrontement que s'y livrent Satan et Dieu, les accents de la tragédie grecque : Benanos a dit maintes fois que son œuvre n'avait que deux montreurs d'ombres : Dieu et Satan, et parfois les hommes pris au piège ( ) D'où le lien avec la tragédie grecque, où s'affrontent l'Homme et le Destin.”. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture