Dans notre extrait, Titus vient d'annoncer à Bérénice sa volonté de cesser la relation. Celle-ci laisse alors éclater sa rancœur douloureuse et menace de se tuer. Titus proteste de son amour, jusqu'aux larmes, mais sa décision reste irrévocable. Dans la tirade de Bérénice, les vers sont ordonnés en deux phases contrastées de longueurs équivalentes, dont le pivot est constitué par l'exclamation « Pour jamais ! ». C'est dans la première phase que le choc de la rupture annoncée est essentiellement cristallisé dans le temps.
Reine orientale exilée de cette terre romaine qui la regarde comme étrangère, Bérénice est condamnée à l'exil dans le temps que représente sa rupture contrainte avec Titus qui lui jurait par mille serments un amour éternel. Cet exil temporel, marque de la distanciation, se manifeste par l'opposition des termes entre « j'attendais », « devait unir tous nos moments» et «M'ordonnât elle-même une absence éternelle ». Nous notons ici comment le temps de l'imparfait, signe d'espérance, est supplanté par le passé simple, temps de la rupture et d'une certaine agressivité qui vient consacrer la séparation désormais nécessaire.
[...] La fluidité musicale est engendrée par ce que l'on peut appeler le vers formule cristallisant en un alexandrin binaire ou ternaire les antithèses emblématiques de la tragédie : Je n'écoute plus rien, et pour jamais : adieu . Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous, Que le jour recommence et que le jour finisse, Les sonorités expressives qui parcourent les phrases produisent le même effet : notons les allitérations en s comme soupir) Ah ! Seigneur songez, combien ce comment souffrirons- nous, Seigneur que tant de mers me séparent Il en va de même avec l'utilisation des allitérations auxquelles se marie la note aiguë des i recommence et finissent Titus puisse voir Bérénice Sans que ( ) je puisse voir Titus Le jeu subtil des innombrables assonances en e est aussi une marque supplémentaire de la musicalité du passage Seigneur, que tant de mers me séparent de vous.» tout comme les sonorités en eur Vous êtes empereur Seigneur et vous pleurez musicalité en eur qui a aussi pour effet d'allonger la réplique. [...]
[...] et cette bouche préférée à votre bouche, car plus dédaigneux. On note d'ailleurs la symbolique appuyée de cette bouche tour à tour délirante et désirée puis symbole de trahison. La séparation dans le temps et dans l'espace La seconde phase voit, elle, conjuguer ce thème du temps avec celui de l'espace qui le redouble. À partir du Pour jamais ! qui est la prise de conscience douloureuse d'une évidence que la véhémence du discours s'employait encore à conjurer, le temps s'immobilise et se confond avec l'exil dans l'espace qui en est le corollaire. [...]
[...] Nous étudierons par la suite en quoi son discours s'apparente à un lamento musical. Temps et espace, déterminants habituels de la séparation, sont ici distendus à l'extrême. La séparation prochaine est en effet éternelle et donc sans limites dans le temps, et inscrite dans l'espace qui en garantit la permanence. L'inscription de la séparation dans le temps Dans la tirade de Bérénice les vers sont ordonnés en deux phases contrastées de longueurs équivalentes, dont le pivot est constitué par l'exclamation Pour jamais ! [...]
[...] II) La tirade de Bérénice s'apparente à un de ces chants douloureux que les musiciens du XVIIe siècle nomment des lamentos. (c.f. le Lamento d'Ariane de Monteverdi (Lasciate me morir : Laissez-moi mourir) ou celui de Didon dans Didon et Enée de Purcell) La musicalité de la tirade La musicalité s'exprime d'abord par les effets de symétrie. Le jeu des temps que nous venons de souligner se double effectivement des effets de symétrie qui contribue à l'impression de statisme et de lenteur : Dans un mois/dans un an - Que le jour recommence/et que le jour finisse - Sans que jamais/Sans que de tout le jour Ces balancements du vers lui confèrent une musicalité et une qualité d'émotion qui est peut-être le meilleure de l'art poétique racinien dans Bérénice. [...]
[...] Ce moi s'exprime alors par l'utilisation de la première personne, par le terme moi-même et par les pronoms possessifs ou personnels tels que mes yeux me séparent mon erreur mon absence Les pleurs et le regret du passé, marques du pathétique, sont aussi très présents dans l'extrait. C'est ainsi que Pour jamais est associé à Combien ce mot cruel est affreux Bérénice s'exclame aussi «que de soins perdus! L'expression de la douleur est en symbiose avec celle de la nostalgie déchirante et suscite des vers pathétiques tels que «comment souffrirons-nous». Le but déclaré de Racine est donc bien d'émouvoir et, sur ce point, on sait qu'il rencontre auprès du public un succès de larmes». [...]
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