Renaud de Beaujeu construit avec Le Bel Inconnu un roman arthurien tel qu'on les connaît déjà : un chevalier obtient d'aller sauver une demoiselle en détresse et c'est au prix de péripéties souvent semblables, l'opposant à un personnage mauvais mais moins puissant que lui, qu'il obtient un prix, celui de pouvoir sans cesse faire ses preuves pendant ces épreuves qualifiantes. L'auteur choisit pourtant d'inclure un élément perturbateur de taille : l'amour pour une femme qui vit retirée de lui, et son puissant désir, porté sur cette figure mystérieuse et non sur la reine, mariage qui signifierait une reconnaissance totale. Cette primauté de l'amour sur l'intrigue qui elle, souffre de répétitions, ne signifie pas pour autant que l'écriture soit maladroite. Bien au contraire, Renaud de Beaujeu soumet le format du roman à son but premier : chanter son amour à une femme qui se refuse à lui et met pour cela en place de savants jeux d'échos ou d'oppositions. Dans l'extrait qui nous occupe, justement, ne supportant plus d'être séparé de la femme aimée, Guinglain quitte le cortège de la reine pour aller trouver la fée, qu'il avait autrefois abandonnée pour secourir la première. A un départ en cachette répond donc un autre, sous le voile du mensonge. Les heureuses retrouvailles avec la belle jeune femme sont pourtant troublées par la venue d'un messager, venu informer le héros qu'un tournoi se tient dans peu de temps. Si le chevalier y voit une occasion de s'y illustrer, il ne sait pas que ce départ, demandé cette fois, et non volé, signe avec lui la perte de la femme aimée pour un mariage avec la reine, pendant féminin de la fée. L'extrait, bien que court, est donc marqué par un jeu de bascule très fort entre les deux femmes.
La présence forte du narrateur dans tout le roman se fait ici encore une fois sentir puisqu'il structure l'extrait de sorte à suggérer que le moment vécu auprès de la fée est une pause dans le récit, une mise en abyme même, puisque dès le premier vers, séparée par un blanc typographique mis en place par les éditrices, une histoire dans l'histoire commence, cristallisant en seulement quelques lignes un schéma narratif entier (...)
[...] La notion de passage, d'ailleurs permettrait de scruter ces lignes comme un seuil à franchir. D'abord, l'Ile d'Or est le lieu du bouleversement temporel, puisque ce dernier n'est plus que consacré à l'amour et à la satisfaction pleine des désirs. Encore, la spatialisation est indéterminée et l'on a quitté la chambre pour n'y pénétrer qu'une dernière fois, avant le basculement. Enfin, ce temps visiblement immobile est rattrapé par une temporalité pressente et semble-t-il infaillible : celle de la prophétie Le bouleversement temporel : un temps étiré dédié aux plaisirs La traduction française réalisée par Michèle Perret et Isabelle Weil prend soin d'introduire un organisateur temporel en début d'extrait, pendant ce temps afin de signifier la relation de simultanéité avec les vers précédents mais plus encore l'étirement du temps au sein du royaume de la fée, qui était déjà à l'œuvre alors que le chevalier souffrait la distance qui le séparait de la Belle. [...]
[...] Enfin, la conclusion gnomique de l'extrait, qui le voit bien et le mal prent / saciés que après s'en repent est une variation supplémentaire sur le motif du don mais suggère surtout que l'auteur lui-même est tourné vers l'avenir, comme son héroïne, à la différence qu'il suggère par là les malheurs à venir du héros et non son mariage avec Blonde Esmerée. Cette partie permet de suggérer la finesse du travail de construction de Renaud de Beaujeu qui, nous l'avons compris, empêche de savoir tout à fait si l'extrait est indépendant puisque passé sans retour ou travaille de la construction générale du roman. [...]
[...] Plusieurs fois, le chevalier n'obtempère pas et contrevient à la demande de la jeune fille, en la suivant contre son gré, ou en allant sauver la jeune femme prisonnière des géants. Il peut aussi, au contraire, prendre la forme d'un ordre bafoué, alors que le héros s'aventure sur le Gué Périlleux ou au sein d'un palais dont l'accès lui est interdit. Il provoque alors la colère de la personne chargée de garder les lieux et c'est parce qu'il a rompu les règles et cherché à briser la mauvaise coutume qu'il devient l'ennemi d'un autre chevalier. [...]
[...] L'utilisation du verbe cuidier au vers 5377 est d'autant plus intéressante qu'il a trait à la pensée et suppose ainsi que le héros ne peut que monologuer en son fors intérieur, refusant toute communication avec la fée. Il semble d'ailleurs avoir symboliquement quitté les lieux depuis l'annonce du tournoi, puisque déjà au vers 5339, en son corage se pensa / qu'a cel tornoiement ira suppose que le héros a pris seul sa décision. La rapidité avec laquelle le héros prend sa décision et s'y tient est encore plus soulignée par la ponctuation dans la traduction française. La présence des deux points précédant la demande à Belle introduit une relation de cause à effet. [...]
[...] Reprenant ce motif du départ pour le tournoi, Renaud de Beaujeu suggère-t- il que le jeune homme était prisonnier de la jeune femme ou de son désir trop grand, ne trouvant pas satisfaction dans la succession des jours auprès d'elle ? Renaud de Beaujeu subvertit ce motif arthurien puisque jamais plus le héros ne reviendra auprès de la fée, malgré sa promesse. Le narrateur le signifie jusque dans les moments dialogués. En rapportant l'autorisation de se rendre au tournoi au discours narrativisé A s'amie en ala parler / qu'a cel tornoi le laist aler v. [...]
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