[...]
Ce quatrième poème intitulé Spleen, comme les trois précédents, nous frappe dès la première lecture comme une confession tragique du poète. Nous assistons ici en quelque sorte à une expérience douloureuse, à la naissance progressive et insidieuse d'un malaise qui gagne peu à peu toute la personne de Baudelaire, corps et âme, et se déploie sur les trois premiers quatrain. Et brusquement une crise nerveuse éclate à la quatrième strophe, où l'on atteint le paroxysme de l'angoisse et de la souffrance. Enfin le calme semble revenir dans la dernière strophe, mais le calme effrayant d'un homme accablé définitivement, et touché par la folie.
Nous analyserons donc dans une première partie l'intérêt dramatique du poème. Par quels mouvements, par quelle structure, Baudelaire nous fait-il participer aux différentes phases de son mal, depuis son malaise diffus et grandissant jusqu?à l'explosion de la crise, qui s'achève elle-même par l'accablement total et définitif ?
Dans une seconde partie, nous essaierons de dégager l'intérêt artistique de ce texte. Par quels moyens, images, correspondances, versification, l'auteur parvient-il à nous faire partager ses sensations, ses sentiments et émotions ?
Dès le premier abord, le poème retient en effet notre attention par sa structure grammaticale, nettement oratoire, presque incantatoire, car il fait entendre une plainte régulière et un peu monotone, à la façon d'une litanie. Trois longues subordonnées commençant par "Quand", lui-même deux fois repris par "et que" (vers 3 et 11), se déploient sur les trois premiers quatrains, et aboutissent à deux longues principales dans les deux dernières strophes. Ainsi apparaît déjà une division du poème en deux grandes parties : d'abord les circonstances extérieures créent le malaise (strophes 1/2/3) et aboutissent à la vision et à l'hallucination (strophes 4/5). Les éléments du paysage, le ciel (vers 1), la terre (5), la pluie (9), la répétition de la conjonction "Quand", l'atmosphère de plus en plus pesante, créent peu à peu une impression d'étouffement et d'oppression. Nous avons la sensation d'être écrasés et enfermés dans une prison qui se construit progressivement sous nos yeux. L'espace d'abord se rétrécit, en commençant par l'horizon (3), le couvercle du ciel (1) pèse sur nous, et l'obscurité se répand (4). Des murs (7) et des plafonds (8) se dessinent enfin qui constituent le "cachot humide" (5), image frappante de la condition humaine selon Pascal, là où tous les hommes, chacun tour à tour, attendent la mort (...)
[...] Les voyelles nasalisées en particulier ou reviennent sans cesse (gémissant, ennuis, embrassant, battant, cognant, etc.) et traduisent un gémissement sourd et continu. Par contraste avec cette plainte sourde, on perçoit parfois l'expression aiguë de la douleur grâce à la répétition de la voyelle-i : Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis Les comparaisons sont toutes d'un type désagréable, couvercle cachot chauve-souris plafonds pourris et contribuent à créer un ennui accablant d'une fin de journée obscure et oppressante. A la quatrième strophe, la violence brutale de la crise nerveuse est rendue par la dureté agressive des consonnes en-k et : Des cloches tout à coup sautent avec furie Ainsi pénètrent mieux dans le corps et l'esprit du lecteur tantôt la monotonie, tantôt la force accablante du spleen. [...]
[...] Mais dès la troisième strophe, les termes de comparaison ont disparu : la vision et l'état moral se confondent avec les infâmes araignées et les longs corbillards L'allégorie qui personnifie une idée abstraite, l'Espoir l'Angoisse(19), brouille complètement la limite entre la vision concrète et le monde moral. Ces allégories agissent en effet et s'affrontent comme de véritables personnes. Désormais Baudelaire est victime d'une hallucination, et les images imaginaires lui apparaissent comme réelles. Dès le début, la reprise en tête des quatrains de l'anaphore »Quand les formes participiales s'en va battant et se cognant la lourdeur des alexandrins, tout cela crée une sensation pénible d'écrasement progressif. [...]
[...] Les images possèdent une grande force d'évocation, en particulier celle de la chauve-souris Aveugles et angoissées comme l'oiseau nocturne, les pensées de Baudelaire tournent de façon inlassable et vaine, incapables de s'élancer vers l'Idéal, et retombent dans l'obsession de l'échec et de la mort. Notons également le défilé lugubre des corbillards, dans un silence angoissant, et le drapeau noir, symbole du dérangement de l'esprit et de la folie définitive. ( ( ( Pour conclure, tout ici dit le renoncement physique et intellectuel : le spleen a vaincu l'idéal. Longtemps le poète lutte et se débat contre les vagues de tristesse et de malaise qui l'assaillent et montent vers lui de manière continue. [...]
[...] Nous assistons maintenant à l'irruption brutale de la crise nerveuse strophe), et elle nous semble d'autant plus violente que cet unique quatrain fait équilibre à la lente montée des trois autres vers cet éclatement brutal. Les nerfs du poète tendus à se rompre, finissent par craquer. Après l'image hallucinante des araignées, voici l'hallucination auditive. Le champ lexical de la violence s'impose avec force par les termes sautent furie lancent hurlement On sent qu'un malaise longtemps contenu surgit soudain. Les cloches qui hantent Baudelaire lancent vers le ciel un hurlement angoissé, un cri de révolte et de désespoir devant l'impossibilité d'échapper à la prison d'ici- bas. [...]
[...] Dans une seconde partie, nous essaierons de dégager l'intérêt artistique de ce texte. Par quels moyens, images, correspondances, versification, l'auteur parvient-il à nous faire partager ses sensations, ses sentiments et émotions ? ( ( ( Dès le premier abord, le poème retient en effet notre attention par sa structure grammaticale, nettement oratoire, presque incantatoire, car il fait entendre une plainte régulière et un peu monotone, à la façon d'une litanie. Trois longues subordonnées commençant par Quand lui-même deux fois repris par et que (vers 3 et se déploient sur les trois premiers quatrains, et aboutissent à deux longues principales dans les deux dernières strophes. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture