Flaubert, dans Madame Bovary, a tracé le portrait d'une femme désoeuvrée, désenchantée, gouvernée par l'espoir de vivre un cliché. Emma aimait à regarder par les fenêtres.
Baudelaire, dans Les Fenêtres, prend le parti contraire. Le poème XXXV des Petits Poèmes en Prose nous invite à "regarder du dehors à travers une fenêtre", cette vitre fermée sur l'intimité d'un inconnu que le poète épie.
De ces bribes de vie, il va déployer non pas l'histoire, mais la légende : la poésie ne veut pas représenter le monde, recréer du monde, comme l'imaginait Platon. La poésie veut partir de cette particule autonome du monde, cette subjectivité, pour s'ouvrir à l'universel du rêve (...)
[...] Le pouvoir du poète est dans le regard qu'il porte sur les choses. Le dandysme n'est pas le snobisme, et toute l'œuvre du Spleen de Paris évoque le désespoir Le désespoir de la vieille la violence La femme sauvage et la Petite-maîtresse voire la déchéance morale dans La Corde Baudelaire ne cherche pas la beauté dans la rhétorique, dans le consensus : il veut voir le réel par-delà les vagues de toits et, de cette réalité crue, élaborer la légende. [...]
[...] Ainsi, la poésie n'aspire pas seulement à représenter le réel. Elle doit offrir à son lecteur une connaissance du monde et de lui-même : la poésie devient didactique en devenant légende. Les Fenêtres est un manifeste : Baudelaire y décrit son projet, son rôle, sa fierté. En réhabilitant le réel, nous assumons la trivialité de nos vie, qu'une démagogie, qu'une rhétorique voudrait enterrer. Et réhabiliter le réel, c'est accepter notre faiblesse, accepter d'en tirer un enseignement, via la poésie, notamment. [...]
[...] La spécificité d'un tel médium est dans l'infinité des interprétations dans le cas d'une grande œuvre que l'on peut tirer du texte : ces interprétations sont les réponses dont nous manquons pour bien vivre. Emma Bovary, embourbée dans ses clichés poétiques, ne parvenait pas à distinguer la littérature du réel. La poésie, au contraire, décide de jouer avec cette distance. [...]
[...] évoque la beautés des îles que Baudelaire a connu dans sa jeunesse, et Le Désir de peindre nous parle du désir inassouvi du poète provoqué par une rencontre fugace. La femme qui est ici dépeinte n'a rien de cette sensualité : On distingue une opposition entre la délicieuse odeur [ . ] de fruits que l'on trouve dans le poème Déjà ! et les adjectifs employés pour décrire cette femme, comparée à un vieux fruit mûre ridée Faut-il voir une référence à cette vieille femme dans l'allusion aux Sorcières thessaliennes du poème suivant ? [...]
[...] Quel est le rôle de la représentation, dans le poème Les Fenêtres ? Baudelaire me parle de la possibilité de vivre dans d'autres que moi- même de pouvoir bénéficier de l'expérience d'autrui par le médium de la littérature . Les deux derniers paragraphes concluent le poème sur cette note. D'ailleurs, le jour se conclue lui-aussi : le poète se couche une fois son travail terminé, et évoque la fierté qu'il tire de sa poésie. Cette fierté, qui peut nous paraître mal placée cet homme passe son temps à épier, non sans perversité, la vie quotidienne de ses voisins est confirmée et expliquée par la phrase fier d'avoir vécu et souffert dans d'autres que moi-même Le jeu très travaillé des des assonances et des allitérations fier souffert ; avoir vécu ; dans ; moi même nous rappelle que le poète n'est pas seulement un observateur, mais qu'il travaille à la maîtrise des possibilités de la langue et à la création des légendes : l'enjeu social de la poésie, au même titre que l'isolation du poète en dehors de la société, est impossible à nier. [...]
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