Reprenant les éléments emblématiques du mythe, Baudelaire va aborder tous les personnages principaux de la pièce de Molière, non sans faire preuve d'originalité.
a- Le mendiant (vers 3-4)
Rappelant celui que Dom Juan avait entrepris en vain de faire blasphémer en échange de quelque argent (Acte III, scène 2), deux vers lui sont consacrés ("Un sombre mendiant, l'oeil fier comme Antisthène, / D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron", vers 3-4). Son apparition est mise en valeur par :
. une diérèse ("men-di-ant").
. l'adjectif "sombre" et l'apposition de l'expression "l'oeil fier" qui indiquent que le personnage prend sa revanche sur le séducteur, d'autant que la référence hellénique Antisthène rappelle le philosophe grec fondateur de l'école cynique.
. la séparation sujet-verbe par deux compléments, qui maintient le suspense accentué par l'apparition retardée du mendiant suite à l'utilisation de deux subordonnées temporelles ("Quand", vers 1 ; "lorsqu'", vers 2).
Dans ce poème, contrairement aux rôles premiers, c'est le Pauvre qui se venge de l'humiliation que lui a causée Dom Juan. La référence à Antisthène est là pour renforcer la fierté du pauvre. Comme ce philosophe croyait aussi que le luxe empêchait d'accéder à la sagesse, la comparaison suggère donc le mépris des richesses matérielles grâce auxquelles Dom Juan voulait faire blasphémer le Pauvre.
b- Les femmes (vers 5 à 8 et 13 à 16)
Rappelant le rôle de séducteur inconstant d'un personnage qui souhaite aimer toutes les femmes, deux strophes sur cinq sont consacrées à la gent féminine : une pour les femmes en général (vers 5 à 8) et l'autre pour Elvire (vers 13 à 16).
- Vers 5 à 8
Conformément au héros misogyne de Molière, il tait l'identité et animalise même les femmes grâce au terme "troupeau" (vers 7), qui insiste sur leur pluralité, renforcée par l'emploi du pluriel et l'adjectif "grand" ("Des femmes se tordaient sous le noir firmament, / Et, comme un grand troupeau de victimes offertes", vers 6-7), ce qui rappelle les multiples conquêtes de ce séducteur (...)
[...] Elle porte le deuil de Dom Juan (Frissonnant sous son deuil, vers 13) et l'allitération en fait alors ressentir sa douleur. Malgré cela, elle semble toujours l'aimer : Semblait lui réclamer un suprême sourire (vers 15). Sganarelle (vers Il rit de la descente aux Enfers de Dom Juan : Sganarelle en riant lui réclamait ses gages. C'est un rire moqueur, qui présente un valet sarcastique qui se venge des railleries de son maître. Si Baudelaire reprend de manière explicite la dernière réplique de Sganarelle dans la pièce de Molière qui réclamait ses gages, il n'en inverse pas moins les rôles du maître et du valet. [...]
[...] - des références authentiques Enfin, Baudelaire s'inspire de deux tableaux qui ont révélé le talent de Delacroix, qu'il décrit dans le poème : La Barque de Dante et Dante et Virgile aux Enfers. Ces deux tableaux baignent dans une atmosphère très sombre et révèlent un jeu pictural clair-obscur où la barque, l'aviron, Charon et les morts apparaissent. Une versification du mythe Si Baudelaire a apporté un soin tout particulier à la technique picturale du clair-obscur pour écrire son poème, il a également veillé à transposer le genre théâtral en genre poétique. [...]
[...] De plus, désignée par la périphrase un grand homme de pierre (vers qui fait écho au sous-titre de la pièce originale : Le festin de pierre, elle est mise en valeur par un contre-rejet et sa rigidité est soulignée par l'emploi de l'adjectif droit (vers 17) et du verbe coupait (vers 18). Elle conserve ainsi une attitude inflexible et incarne l'image de la justice divine. Dom Juan (vers 1-2 et 19-20) Dans ce poème, qui assure en quelque sorte la suite de la pièce de Molière, Dom Juan est déjà mort : Quand Don Juan descendit vers l'onde souterraine (vers 1). Néanmoins, tous les éléments rappellent les relations qu'il entretenait avec les autres personnages. [...]
[...] Baudelaire ne néglige pas pour autant les effets de rythme. Celui-ci, régulier (chaque strophe se termine par un point), fait écho à la lenteur de la barque. Cependant, le dernier quatrain crée une rupture, avec la conjonction de coordination Mais (vers 19) et le point virgule qui la précède. Elle oppose ainsi toutes les récriminations des autres personnages à l'attitude calme de Dom Juan, créant un effet de surprise : Dom Louis, Sganarelle, les femmes et Elvire le provoquent et attendent une réaction, mais il reste stoïque. [...]
[...] Dans la suite du poème, l'imparfait prédomine (tordaient, vers 6 ; traînaient, vers 8 ; réclamait, vers 9 accompagné de participes présents (pendants, vers 5 ; riant, vers à valeur de présent ralenti. - une disposition soignée des personnages Baudelaire apporte un soin particulier à la composition de son poème. Les femmes sont derrière Dom Juan, Elvire est près de lui. L'attitude de tous les personnages est précisée : figure centrale du poème, tous sont tournés vers lui. La récurrence du pronom personnel complément lui (vers et à valeur de périphrase, souligne la place importante qu'il occupe. [...]
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