La plupart du temps, dans les contes, l'amour est la clef du bonheur. C'est un sujet qui participe en effet le plus souvent au dénouement heureux : le mariage est alors présenté comme l'aboutissement d'un processus amoureux, c'est pourquoi il se présente en général comme une clôture au conte. Il est pourtant possible de constater que ce schéma n'est pas celui sur lequel se construit Barbe Bleue.
Ainsi, l'on retrouve dans les contes populaires, et principalement ceux de Perrault, un personnage masculin solitaire et farouche qui finit par rencontrer l'amour absolu ce qui bouleverse la hiérarchie sociale de par le fait que celle qu'il épouse se situe dans une autre catégorie sociale que lui. C'est par exemple le cas dans Peau d'Âne. Ce décalage social marque alors le caractère supérieur de cet amour qui dépasse les conventions. Cela est d'autant plus important lorsque la jeune fille élue du prince est pauvre comme dans Cendrillon. Cela est aussi valable pour la jeune fille qui épouse Barbe Bleue, mais alors, le décalage entre les deux personnages ne repose pas sur cette seule différence, il est total. Le dépassement des conventions est ici marqué par la couleur extraordinaire de la Barbe du protagoniste.
Par la suite, on observe dans le conte un motif, un objet, quelque chose comme une bague, une chaussure, un baiser, qui vient sceller la représentation amoureuse en un amour parfait. Mais cet objet, la clef, marque au contraire dans Barbe Bleue l'imperfection de cette union : le sang qui la marque est le témoignage de la trahison du mariage.
L'amour est aussi ce qui transforme au sein des contes celui qui en est saisi et Perrault en fait même l'apologie : l'amour y est bien souvent idéalisé par un prince qui aime la jeune fille pour elle-même, peu importe son statut social. L'amour semble ainsi transformer le regard, l'amant ne voit plus les défauts de celui dont il est épris et c'est ainsi que la jeune femme de Barbe Bleue ne voit même plus la couleur étrange de la barbe de son mari :
« la Cadette commença à trouver que le Maître du logis n'avait plus la barbe si bleue, et que c'était un fort honnête homme »
L'amour paraît tout de même intéressé et vénal puisque la jeune fille n'accepte d'épouser son prétendant que parce que celui-ci est riche et puissant, comme en témoigne ensuite son empressement à montrer toutes ses richesses à ses voisines. Cela est d'ailleurs mis en avant par les gravures de Gustave Doré qui illustre l'intérieur du palais du protagoniste comme s'il s'agissait de la caverne d'Alibaba. (...)
[...] Celui-ci apparaît travers la présence d'une clef magique qui garde la trace de la désobéissance de la jeune épouse du héros éponyme, mais aussi à travers le multiple homicide commis par l'ogre, et qui donne au merveilleux un caractère effrayant, le faisant ainsi basculer dans le fantastique. L'ogre est en effet une figure récurrente dans les contes de fées et semble ainsi incarner les mauvais penchants de l'humanité. Dans son illustration des textes de Perrault, Doré privilégie la mise en page de ces personnages en leur donnant des traits semblables d'un conte à l'autre. [...]
[...] Mais si l'extérieur est hostile, l'intérieur n'est pas toujours plus sûr : le Petit Poucet se croit en sécurité dans le château de l'ogre, tout comme la femme de Barbe Bleue se sent en confiance dans la demeure de son mari, et c'est pourtant là que les deux personnages ont failli perdre leur vie. Le foyer semble dès lors davantage apparaître comme une prison, un piège, voire une représentation du labyrinthe du minotaure, comme en témoigne l'immensité du château de Barbe Bleue qu'il est impossible de visiter en une journée. [...]
[...] A cela s'ajoute la comparaison de cette figure féminine à Didon, qui est elle aussi abandonnée par celui dont elle est éprise : Enée. D'ailleurs, celle-ci a aussi une sœur prénommée Anne avec qui elle observe du haut de la citadelle le départ du héros. Autrement dit, par le biais du merveilleux, le conte semble dénoncer les mauvais penchants de l'humanité et ici tout particulièrement dans les relations entre les hommes et les femmes : les premiers seraient trop dominateurs envers leurs jeunes épouses et celles-ci auraient des difficultés à s'émanciper et à être heureuses dans leurs unions. [...]
[...] Bibliographie Dominique Fernandez, Suzanne Varga-Guillou, L'amour des mythes et les mythes de l'amour, Artois Presses Université, Arras Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, Éd. J. Renard. collection La Fontaine de Pierre, Paris Charles Perrault, Contes, Nouvelle édition illustrée par Gustave Doré et dirigée par Catherine Magnien, Classiques de Poche, Paris Annales Littérature terminale bac 2007, Nathan, Paris Dominique Fernandez, Suzanne Varga-Guillou, L'amour des mythes et les mythes de l'amour, Artois Presses Université, Arras p.107. Idem p.107-108. [...]
[...] Barbe Bleue est au contraire un récit moderne dans sa conception des relations homme/femme dans la mesure où il prône l'émancipation de cette dernière face à un mari trop dominant qui use de sa force pour soumettre sa jeune épouse. Le conte pousse aussi les figures féminines à dépasser les conventions, non pas en épousant quelqu'un d'une autre classe sociale qui pourrait leur apporter la richesse, mais à chercher ce qu'il y a de mieux pour elles-mêmes. La fiction présente donc une vision négative de l'homme, qui est un monstre envers sa femme et qui ne la rend pas heureuse, mais qui cherche au contraire à la soumettre à sa volonté avant de l'abandonner, que ce soit en la tuant ou en la quittant, ce qui rappelle d'autres récits légendaires tels que ceux qui nourrissent la mythologie gréco-romaine. [...]
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