Un Balcon en forêt, Julien Gracq, roman, Seconde guerre mondiale, nature, existentialisme, utopie, réalisme
L'épigraphe d'Un Balcon en forêt met d'emblée en évidence tout l'enjeu du roman. La traduction des premiers vers du Parsifal de Wagner révèle que des veilleurs favorisent un sommeil paisible, mais que les veilleurs sont parfois tentés par le sommeil. Telle est bien la situation de Grange, militaire envoyé dans la forêt des Ardennes avec trois autres compagnons pour surveiller l'approche de l'armée allemande et renseigner les autres garnisons au sujet de ses avancées. Mais dans ce temps de guerre comme suspendu, dans cette « drôle de guerre » ou plutôt dans cette « fausse guerre », comme l'appelle Grange, le jeune homme peine à rester concentré et se laisse envoûter par la forêt qui l'entoure, paysage typiquement merveilleux et propice à l'imagination. Le quotidien de Grange se voit donc davantage rythmé par ses rêveries que par les appels de la guerre, auxquels Grange ne prête que peu d'attention.
[...] Ainsi, les feuilles pourries pourraient donner une coloration mortuaire au paysage ne sont présentées que sous la forme un lit de feuilles inoffensif et ramenant Grange à ses songes. De même, ce ne sont pas les qualités belliqueuses des soldats qui attirent Grange, mais leur habit kaki qui se colore la vallée verte . Quel que soit le danger encouru et quoi qu'il lui en coûte, Grange se range du côté de la rêverie. Un guetteur - flâneur Mobilisé dans les Ardennes pour surveiller l'approche de l'ennemi, Grange prend militairement le rôle d'un guetteur. [...]
[...] Le plaisir du sommeil Que la forêt favorise la rêverie n'étonnera personne : en littérature romantique ou dans les contes, elle représente l'espace merveilleux par excellence. Par opposition, la maison forte, blockhaus militaire pourrait prendre le contre-pied de cet espace enchanteur pour rappeler à Grange ses fonctions. Mais il n'en est rien. La première description de la maison forte, que découvre Grange lors de son arrivée aux Falizes, insiste sur ses qualités militaires : il s'agit simplement d'un bloc de béton , dépourvu de toute fioritures mais néanmoins barbouillé à la diable d'un vert olive délavé , sans doute pour mieux se fondre dans le paysage ; deux embrasures sont prévues pour une mitrailleuse et un canon-char . [...]
[...] Sur une mer des forêts , le reste du jour [flotte] , au même titre que l'esprit de Grange, significativement porté par une atmosphère vague . La métaphore permet ainsi de lier tous les éléments du décor, tout en gardant le vague , le mystère de ces relations. L'ambivalence d'un récit à la troisième personne La rêverie est emblématisée par la poésie lyrique écrite à la première personne. Gracq fait toutefois le choix d'écrire le Balcon à la troisième personne. [...]
[...] Grange observe avec minutie la terre ardennaise :il en connaît les moindres détails, comme si le paysage n'était pas plus grand qu'un corps de femme : c'est sans doute à la fois comme révélation de son amour et du lien qu'il existe entre chaque corps (en tant que matière et non exclusivement en tant que corps humain) que la nature prend parfois des allures féminines. Ainsi, dès l'incipit du roman, la nature se révèle très sensuelle : les épaulements , la gorge , les falaises chevelues sont autant d'éléments qui dessinent un corps féminin. Plus loin, les branches de la forêt frappent à la fenêtre de Grange, presque aussi intentionnellement que des mains : Les branches de la forêt venaient toucher ses vitres . Le verbe support venir confère au geste une intentionnalité qui personnifie la forêt. [...]
[...] Une nature entre sommeil et veille, miroir de Grange Tandis que Grange incarne la figure du veilleur-rêveur, la nature paraît avoir l'attitude inverse. En apparence, elle est contemplée et surveillée par Grange : elle est parfaitement calme et inoffensive. La tranquillité de la forêt est perceptible dans les nombreuses mentions de son silence, en opposition à l'animation que Grange trouve au village ou dans le blockhaus. Ainsi, le silence du lieu , presque magique , ce silence étrange , ce silence de jardin défendu , permet à Grange de mieux s'évader. [...]
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