Roxane l'affirme sans ambages dans l'avant-dernière scène de l'acte I : elle veut épouser Bajazet et si celui-ci refuse, il périra. « Voilà sur quoi je veux que Bajazet prononce/ Sa perte ou son salut dépend de sa réponse » (acte I, scène III). Dans la scène suivante Atalide, en se confiant à sa suivante, révèle aux spectateurs le secret de Bajazet : bien qu'il s'emploie à séduire Roxane, il aime Atalide. L'acte I se termine donc sur cette interrogation : que va répondre Bajazet à Roxane ?
Au début de la première scène de l'acte II, Roxane propose à Bajazet le mariage (« Et, par le nœud sacré d'un heureux hyménée/ Justifiez la foi que je vous ai donnée ») et celui-ci prend prétexte de l'usage des sultans pour repousser sa demande. Roxane prend alors un ton plus menaçant et le dialogue théâtral passe de l'échange à l'affrontement. On peut se demander quels sont les enjeux à la fois dramatiques et psychologiques de la pièce : intérêt dramatique car la question du refus ou non de l'hyménée par Bajazet est le thème même de la pièce, le moteur de l'action, et intérêt psychologique car c'est la première fois que le spectateur voit Roxane et Bajazet face-à-face.
[...] Dans le premier mouvement de notre extrait, Roxane apparaît donc comme toute-puissante et redoutable. Mais un changement caractéristique apparaît avec le brusque changement de tonalité, de pronom personnel et la rupture syntaxique dans sa deuxième tirade : au plus fort de sa colère Roxane avoue son amour : Dans ton perfide sang je puis tout expier./ Et ta mort suffira pour me justifier. N'en doute point, j'y cours, et dès ce moment même / Bajazet, écoutez, je sens que je vous aime. [...]
[...] Roxane insiste également sur sa puissance en répétant dans les deux premiers vers de notre extrait le pronom personnel moi à des endroits dans le vers où l'accent tonique met en valeur le mot. Songez-vous que sans moi tout vous devient contraire/ Que c'est à moi surtout qu'il importe de plaire ? De plus, dans le premier vers, elle oppose le moi (dans le premier hémistiche) au reste du monde (dans le second hémistiche), ce qui accentue la toute- puissance du moi : Songez-vous que sans moi tout vous devient contraire. [...]
[...] Dans sa troisième tirade, Roxane devient, d'amante en furie une amante désespérée. On note encore une fois le changement de pronom personnel : elle passe une nouvelle fois du vous au tu mais il ne s'agit plus d'un tu méprisant, mais d'un tu de l'intimité. Dans cette dernière tirade, presque désespérée Roxane s'abandonne et montre toute son âme à Bajazet : le tu livre à Bajazet la part ultime, la plus secrète et la plus intime de ses sentiments, c'est le tu de la vérité et de l'intimité, de la déclaration d'amour. [...]
[...] Ainsi la fin de cette scène, première entrevue de Roxane et de Bajazet mêle l'intrigue politique, la tragédie de l'amour, de la mort, la souffrance, le mensonge, la duplicité dans l'atmosphère du sérail où tous ces éléments se fondent, tous ces éléments turques pour le public de l'époque renforçant le tragique. La confrontation Bajazet/ Roxane est la confrontation de deux fatalités ennemies qui ne peuvent s'accorder que dans la mort. De plus, on sent déjà dans cette scène en filigrane la troisième fatalité, à laquelle en aucun cas nul ne saurait échapper : la vengeance du Sultan. Comme le dit Raymond Picard dans son introduction à Bajazet, ces personnages se disputent une vie qui déjà ne leur appartient plus. [...]
[...] La fin de la scène montre une Roxane éperdue, qui ne peut percer le mystère de l'attitude de Bajazet comme nous le montre sa dernière tirade qui traduit ses sentiments désordonnés avec les points d'exclamation et les quatre points d'interrogation : Quoi donc ! Que dites-vous ? Et que viens-je d'apprendre/ Vous avez des secrets que je ne puis apprendre Quoi ! De vos sentiments je ne puis m'éclaircir ? Roxane est confrontée jusqu'au bout au mutisme de Bajazet devant lequel elle est impuissante comme le montre la répétition de la négation attachée au verbe pouvoir je ne puis je ne puis C'est cette impuissance qui provoque la souffrance et la colère de Roxane. [...]
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