Du bellay pétrarquisme ironie
On sait le génie que déploya Du Bellay dans la satire d'une société qui apparaît dans les célèbres Regrets , et dont l'ironie est un moyen d'expression privilégié. Le poète se montre alors féroce parfois, acerbe souvent, subtil toujours, de telle sorte que le sentiment qui demeure peut-être celui d'une amertume aigrie qui dénote la suffisance hautaine de l'auteur . Mais c'est oublier que Du Bellay ne dédaigne pas de se faire la victime de sa plume, de se livrer lui même à la critique, et de pratiquer à cette occasion ce que l'on peut appeler l'auto-ironie.
Publiés en même temps que les Regrets (1558), les Divers Jeux rustiques offrent une occasion de voir cette auto-ironie à l'oeuvre dans la longue pièce « contre les Pétrarquistes ». Les Divers Jeux rustiques nous montrent un Du Bellay amant des champs et de la nature. Parmi ces pièces assez variées se trouve la longue satire contre les pétrarquistes, dans la quelle l'auteur « va passer en revue la topique pétrarquiste qu'il dénonce, puis, par prétérition, il l'utilise (du V. 41 au v. 56) pour louer sa dame, et en donne une seconde énumération (à partir du v. 81), sur un ton ironique. Après un passage d'esprit « gaulois » (v. 145-200), la dernière strophe, en une pirouette, propose de reprendre le langage pétrarquiste et les idées platoniciennes, pour plaire à sa dame. »
Le pétrarquisme est cette vogue littéraire initiée par le poète Italien dans ses Sonnets et surtout ses Canzones qui célèbrent dans un style ingénieux et plein d'artifice l'objet d'un amour douloureux et sincère. C'est sous l'ombre de Pétrarque que « La Brigade » se constitue. Du Bellay, enthousiasmé par le pétrarquisme, donnera donc aussi dans les raffinements d'une telle poésie, comme on le voit dans son recueil L'Olive C'est la raison pour laquelle la critique du pétrarquisme est une auto-dérision.
Or, cette auto-dérision utilise volontiers le moyen de l'ironie, procédé stylistique très au goût de la Renaissance, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la découverte sous un nouveau jour des penseurs antiques pour lesquels l'ironie avait une grande importance, offre aux écrivains du XVIème siècle la possibilité de se servir de ce procédé. De plus, le raffinement de cette technique correspond bien à la fois à celui des cours qui se constituent dans une oisiveté propice au développement de cette sorte de subtilité très goûtée, et aux jeux de pouvoir qui se trament et déterminent l'utilisation de tels subterfuges pour dire de façon masquée ce que l'autorité ne permet pas de dévoiler ouvertement.
La satire « Contre les pétrarquistes » donne à loisir dans ce procédé. C'est pourquoi il est important de s'interroger sur la nature de l'auto-ironie que l'on y décèle. En effet, celui qui cherche à définir cette auto-ironie se trouve devant une problématique. Soit elle est une ironie au sens strict, et on en rend compte sans faire appel à autre chose que la définition de l'ironie, soit il faut élargir cette définition de l'ironie pour y faire entrer l'auto-ironie, et en ce cas cette dernière ne sera qu'une ironie au sens large, un analogue de l'ironie proprement dite.
La question à se poser est par conséquent la suivante : l'auto-ironie qui apparaît dans ce poème a-t-elle toutes les caractéristiques de l'ironie ? L'enjeu est bien sûr de préciser à cette occasion la nature de l'ironie, sa spécificité, et ses particularités essentielles.
[...] Classiques de poche p. 99) qui fait partie des plus acides : Marcher d'un grave pas, et d'un grave sourcil, Et d'un grave souris à chacun faire fête, Balancer tous ses mots, répondre de la tête, Avec un Messer non, ou bien un Messer si : Entremêler souvent un petit E cosi, Et d'un Son Servitor contrefaire l'honnête, Et comme si l'on eût sa part en la conquête, Discourir sur Florence, et sur Naples aussi : Seigneuriser chacun d'un baisement de main, Et suivant la façon du courtisan Romain, Cacher sa pauvreté d'une brave apparence : Voilà de cette cour la plus grande vertu, Dont souvent mal monté, mal sain, et mal vêtu, Sans barbe et sans argent on s'en retourne en France. [...]
[...] Pour cela il faut savoir que l'ironie se caractérise par trois choses. Un énoncé, d'une part, un signifié qui est l'opposé du signifié habituel de l'énoncé, et des signaux qui indiquent que l'énoncé n'est pas porteur de sa signification habituelle. Pour déceler l'ironie, il faut donc s'attacher à ces signaux qui vont indiquer quand il y a ironie, et quand celle-ci n'est pas présente. Or, il y deux types de signaux, donc deux critères de discernement de l'ironie, le critère interne, et le critère externe. [...]
[...] Catégories, ch. X-XI b 15-21. cf. Dan Sperber et Deirdre Wilson, Les ironies comme mentions dans le numéro spécial de la revue Poétique, 36, nov p. 399-412. Josiane Rieu, L'Esthétique de Du Bellay, Paris, Sedes p Dans ces sonnets, on a une mise en scène de l'auteur, qui est au dessus du texte, une extériorisation où le sujet se dévoile par l'énoncé puisqu'il est au delà du signifiant, le signifié lui-même, alors qu'ici on a un soi qui est sous le texte, et le sujet se cache sous l'énoncé, en deçà du signifiant. [...]
[...] Mais dans les deux cas on a cette altérité du sujet comme tel et du sujet comme objet. Et qui participe de ce grand mouvement d'émergence de la subjectivité consciente dans la poésie analysée notamment par Jacques Maritain dans Situation de la poésie, Paris, DDB p et ss. Josiane Rieu, L'Esthétique de Du Bellay, Paris, Sedes p Espérez-vous que la postérité / Doive (mes vers) pour tout jamais vous lire ? [...]
[...] Ce temps est celui qui sépare la rédaction de l'Olive et celle des Jeux rustiques. Pour résumer, on peut dire que quant à sa nature, l'auto-ironie du texte a toutes les caractéristiques de l'ironie, avec cette particularité qui lui vient du fait que c'est un deuxième degré d'ironie, supportée par l'ensemble du texte. Quant à la finalité de l'auto-ironie, il fait bien dire qu'elle diffère de celle de l'ironie telle qu'elle est conçue habituellement. La finalité d'une ironie est subversive. [...]
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