1) Le cadre du récit : un tableau idéal
- La mer grecque : dès l'ouverture, le texte nous transporte, comme ses voyageurs, au coeur de la Grèce, au milieu du Golfe Saronique. Le navire quitte l'île d'Egine pour rallier le port d'Athènes, Le Pirée. De ces quatre premiers mots, Aulu-Gelle tire un pouvoir suggestif immédiat, celui de l'aura intellectuelle de la Grèce, que soulignent les sonorités vocaliques et la symétrie des deux groupes de mots. Se dessine aussi un décor charmant, avec la croisière parmi les îles grecques du golfe (les côtes de Salamine et de l'Attique).
- Les conditions extérieures : l'auteur les présente comme idéales. En effet, la 2ème phrase décrit poétiquement le ciel et la mer de cette nuit d'été ("Nox fuit", "anni aestas") : "clemens mare (...) caelumque liquide serenum" ; l'absence de verbe ("fuit" n'est pas répété), le rythme ininterrompu par toute coordination, créent une harmonie resserrée et efficace : on peut noter la musicalité des liquides et les allitérations en [k], [l] et [m]. Les adjectifs "clemens" et "serenum" semblent se répondre, de même que "liquide" pourrait caractériser indifféremment le ciel et la mer : les voyageurs semblent glisser entre deux espaces infinis et également limpides. Le lecteur imagine très bien la pureté du ciel où brillent les constellations et celle des flots où elles se mirent. Peut-être est-ce cette réflexion que souligne Aulu-Gelle dans le jeu "sidera considerabamus" où le verbe fait écho au complément. La nuit et la position à la poupe (l.3) donnent une atmosphère d'intimité aussi, à ces voyageurs regroupés dans le silence de l'observation.
- Le groupe : il s'agit de Grecs et de Romains mêlés, et le texte met d'emblée l'accent sur la culture qui les unit. Ils sont "disciples des mêmes enseignements" ; au-delà de leur différence d'origine, ils se retrouvent donc dans une communauté culturelle, celle qui relie immanquablement les Latins aux Grecs. "Eadem in navi" renforce cette idée de communauté dans une métaphore discrète, ainsi que l'utilisation du pronom de la 1ère du pluriel. Les deux protagonistes du dialogue ont beaucoup étudié : l'un appartient à ceux qui "Graecas res eruditi erant", l'autre "se ad litteras memoriasque veteres dediderat".
2) Une scène de dialogue
- Le texte se présente comme un récit "classique", avec ses verbes au passé : "tramittebamus", "Fuit", "disserebat", "inquit", "dixit", etc., avec aussi le présent de narration qui vient animer la scène : "convertor" à la ligne 6. Le récit est construit de sorte à se refermer sur lui-même et former une unité : le spectacle des étoiles (l.3) est rappelé à la toute fin dans l'ablatif absolu : "Intuentibus enim nobis in illud".
- Ce récit se compose majoritairement de dialogue : plus de 14 lignes sur les 19 globales. On trouve trois interventions :
? L.3 à 6 : au discours indirect et de manière condensée (cf. tous les subjonctifs et l'accumulation des interrogatifs : trois "quid", "cur", "quam in partem", "quam ob rem"), la 1ère est celle du spécialiste de la culture grecque,
? L.6 à 9 : au discours direct et soulignée par le présent de narration de "convertor" et la mention du pronom "ego", c'est celle du narrateur,
? L.9 à 17 : la plus développée, et au discours direct, est celle du spécialiste des lettres anciennes et des vestiges (ou monuments, ou annales) de l'Antiquité. Il cite Varron (-116, -27), auteur du De Lingua Latina et organisateur de la 1ère bibliothèque de Rome, et L. Aelius Stilo, son maître (-154, -74), qui inventa la philologie : ces deux sommités occupent une place non négligeable dans l'intervention : "scribunt", l.12, et "Varro addit", l.16.
L'abondance du dialogue rend la scène très vivante, et le cadre ayant été décrit comme idéal, cet extrait se propose comme une discussion vivante et des plus agréables pour des esprits férus de culture (...)
[...] Aulu-Gelle met en scène l'interrogation scientifique et son élucidation, laquelle venant d'un échange entre les hommes et d'une indistinction entre les disciplines que l'époque contemporaine a trop séparées. La culture antique a ce mérite d'avoir fondu dans une même communauté de l'esprit (humanitas) et du plaisir de la connaissance ce que nous maintenons trop à distance et dans des cadres autrement plus scolaires. Qui ne rêve pas d'un tel enseignement in situ, lors d'une croisière dans le golfe Saronique, à la clarté des étoiles ? [...]
[...] Le texte rappelle ainsi l'importance de la culture grecque dans celle des Latins, et la fusion qui s'opère (notamment par la figure d'Homère), proche du syncrétisme. Les Graecas res de la l.3 et les litteras memoriasque veteres de la l.9 montrent que les hommes rassemblés sur le navire ont étudié ce que l'on a appelé les humanités Cicéron parlait déjà de l' humanitas La première phrase exprime cette unité dans la diversité : complusculi Graeci Romanique ces voyageurs suivent les mêmes enseignements earumdem (placé juste après complusculi disciplinarum hommes qui se retrouvent tous universi sur le même navire : la reprise earumdem / eadem est assez claire. [...]
[...] La Grande Ourse et son étymologie Le sujet du dialogue porte sur l'astronomie et l'étymologie : ces voyageurs s'interrogent sur une constellation et sur son nom, comme l'indique le titre du chapitre 21. - Le texte parle d'abord des constellations observées, puis de la Grande Ourse en particulier, et des connaissances acquises sur celle-ci. Le récit a amené cette conversation, en précisant la pureté du ciel et le cadre : la navigation. Les constellations mentionnées sont parmi les plus connues, et la Grande Ourse et l'étoile polaire servent déjà depuis longtemps de repères aux navigateurs. [...]
[...] Sedebamus ergo in puppi simul universi, et lucentia sidera considerabamus. Tum, [quispiam ex iis] qui eodem in numero Graecas res eruditi erant, quid ἅμαξα esset, quid ἄρκτος, quid βοώτης et quaenam major et quae minor, cur ita appellata et quam in partem procedentis noctis spatio moveretur et quamobrem Homerus solam eam non occidere dicat, cum et quaedam alia non occidant, scite ista omnia ac perite disserebat. Hic ego ad nostros juvenes convertor et : Quid, inquam, vos opici dicitis mihi ? [...]
[...] Le récit d'une discussion en bateau sur la Grande Ourse et son nom Le cadre du récit : un tableau idéal - La mer grecque : dès l'ouverture, le texte nous transporte, comme ses voyageurs, au cœur de la Grèce, au milieu du Golfe Saronique. Le navire quitte l'île d'Egine pour rallier le port d'Athènes, Le Pirée. De ces quatre premiers mots, Aulu-Gelle tire un pouvoir suggestif immédiat, celui de l'aura intellectuelle de la Grèce, que soulignent les sonorités vocaliques et la symétrie des deux groupes de mots. Se dessine aussi un décor charmant, avec la croisière parmi les îles grecques du golfe (les côtes de Salamine et de l'Attique). - Les conditions extérieures : l'auteur les présente comme idéales. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture