On observe une montée de la violence en trois étapes :
- l'agression du premier jumeau, Esau (v 1-10), dont on dépeint la violence brutale avec un champ lex qui pourrait être celui de la boxe ("empoigne, à force de coups... de poings, de pieds"). Cependant cette bataille n'est pas dans les règles : il utilise des moyens qui ressemblent plutôt au comportement animal ("puis, à force de coups / D'ongles" : le contre-rejet du v 5 suivi d'un rejet brutal au v 6 mime le coup et la violence du geste), il multiplie les attaques (accumulation : "d'ongles, de poings, de pieds", avec allitération en "d" qui marque les coups), et cherche le mal pour le mal, vu la connotation péjorative des verbes "brise le partage, fait dégât du doux lait , arracher la vie" (...)
[...] Médée tue ses enfants, mais ce ne sont pas ses propres enfants qui tuent Médée. Certes, Clytemnestre tue son époux le roi Agamemnon, et se fait pour cela tuer par ses enfants Oreste et Electre, mais la mère du texte n'a commis aucun crime, et Oreste le matricide sera poursuivi par les déesses de la vengeance divine, les Erynies. Et les enfants ont châtié une mère criminelle, elle aussi ; tandis que le poète suggère le pire crime porté sur une mère, crime inimaginable de la part d'enfants, en utilisant de manière métaphorique le terme de viole D'Aubigné pense peut-être encore à Etéocle et Polynice, les deux frères qui se sont entretués au combat pour devenir rois de Thèbes ; leur mort commune a rendu leur combat vain, comme la lutte fratricide du texte ; mais Thèbes n'a pas été ravagée comme la France, ici. [...]
[...] - A cet être maléfique, voire diabolique, parce qu'il fonctionne contre- nature en étant fasciné par la mort et non par la vie, s'oppose un être sage, plus doux, plus réfléchi : Jacob : ayant dompté longtemps en son cœur son ennui La métaphore de dresseur d'animal dompter indique que Jacob est un être humain, contrairement à son frère, livré à l'animalité de ses pulsions. Jacob a dompté ses pulsions de mort, il domine son agressivité, il la retient, même s'il est victime, même s'il est injustement agressé. [...]
[...] On assiste au cours du poème à une tragique inversion : le lait est remplacé par le sang (ce qui est mis en scène par l'enjambement du v 32) et qui culmine dans la vision monstrueuse du dernier vers, sorte d'apothéose de l'horreur propre à frapper les esprits, comme le désire le baroque : du sang pour votre nourriture - la négation restrictive ne que ne faisant qu'amplifier le phénomène : la métamorphose du lait en sang est complète, comme celle des enfants en bête malfaisante. La pureté bienfaisante du lait est vaincue par la malfaisance diabolique du sang identifié au venin de la discorde 33). [...]
[...] Les deux personnages forment dans la Bible un couple antithétique : l'un (Esau) adore la chasse dans ce contexte symbole de la force brutale et privilégie la vie matérielle aux responsabilités sociales et à la vie spirituelle (il vend son droit d'aînesse il est né en premier qui lui confère pourtant à la fois l'héritage familial et spirituel de son père à son frère Jacob en échange d'un simple plat de lentilles, alors qu'il était affamé Ce refus de la responsabilité spirituelle (diffusion du monothéisme à une époque païenne) qui repose sur la lignée d'Abraham fait de Jacob le seul héritier légitime, et le droit d'aînesse lui revient. Mais Esau oubliera vite sa promesse, et Jacob est obligé de lui subtiliser le droit d'aînesse par ruse, au moment de la mort d'Isaac, soutenu en cela par la volonté divine. [...]
[...] SON IMPARTIALITE MERITE D'ETRE SOULIGNEE ICI : EN POETE ENGAGE, IL VEUT SEULEMENT RAISONNER LES DEUX PARTIS ET MONTRER LA FORCE INCROYABLE DE DESTRUCTION PHYSIQUE ET MORALE DE LA VIOLENCE, QUI FAIT TOUJOURS PERDRE LES DEUX CAMPS A LA FOIS. LE LECTEUR NE PEUT QU'ETRE PRIS PAR UNE TELLE OUTRANCE DANS L'HORREUR. (cf la progression des Tragiques dans l'intro). [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture