Le chapitre 4 du roman Au Bonheur des Dames (1883) d'Émile Zola évoque la journée du lundi 10 octobre 1864, au cours de laquelle Octave Mouret, le directeur du magasin, met en oeuvre la technique commerciale des produits d'appel : il décide de proposer le Paris-Bonheur, une soie d'un rapport qualité-prix exceptionnel, parce que vendu avec une très faible marge, à dessein d'attirer dans son magasin une clientèle nombreuse. Après une matinée assez calme, le magasin a connu dans l'après-midi une fréquentation hors du commun et le magasin offre un visage complètement différent au soir de la vente. Quelle vision du magasin donne alors Zola et à quelle fin ?
I. UNE DESCRIPTION DU BOULEVERSEMENT DU MAGASIN LE SOIR DE LA MISE EN VENTE DU PARIS-BONHEUR
A. La description crépusculaire d'un soir de vente
Ce passage prend place dans le roman à la fin de la journée de la mise en vente exceptionnelle du Paris-Bonheur et Zola insiste ici par divers procédés sur le fait que nous sommes dans un après-coup, que la journée s'achève :
L'impression d'une chute de tension est d'abord donnée par l'évocation du départ progressif des clientes : « Lentement, la foule diminuait » (l.1) ; les « rayons » sont « peu à peu déserts » (l.2) L'adverbe « lentement », la locution « peu à peu » et le choix de l'imparfait suggèrent le caractère progressif de cette retombée.
De plus, par des notations sonores et visuelles, Zola crée une impression crépusculaire, comme en témoignent d'ailleurs explicitement les termes « crépuscule » (l.6) et « soirs » (l.24) :
- la mention du « soir » (l.2) est accompagnée de celle de « volées de cloches », qui s'apparentent à l'angélus. De même, Zola évoque les sons tranquilles d'un retour graduel au calme : il mentionne les « roulements des derniers fiacres » (l.4), où l'adjectif indique la fermeture prochaine du magasin, et personnifie Paris en un « ogre repu » (l.4) en phase de digestion, dont on entend la « voix empâtée » et le « ronflement » (l.4), expressions qui traduisent la fatigue et le bruit apaisé et régulier d'une personne lors de la sieste digestive (...)
[...] Liénard est décrit pour sa part en train de sommeill[er] (l.11), Hutin et Favier sont quant à eux dépeints comme essouflés (l.22). B. Une atmosphère d'apaisement intérieur accentuée par le contraste avec l'extérieur Cette impression crépusculaire est encore accentuée par le contraste établi entre l'intérieur du magasin À l'intérieur l.5) et l'extérieur Du dehors l.3) : Zola oppose un magasin qui se vide (l.21) de ses clientes et de ses articles, dont les rayons sont peu à peu déserts (l.2) et dont le hall reste nu avec un Paris qui à l'inverse est gav[é] (l.5) d'articles depuis le matin, dans un mouvement centrifuge. [...]
[...] L'achat est même assimilé par l'auteur à un acte de consommation sexuel, dans un grand délire érotique collectif. Zola compare en effet de manière implicite la pénétration des clientes dans le magasin à un acte sexuel violent : le rayon de la lingerie est ainsi dévasté dans le désordre d'un coup de désir (l.16), le hall est laissé nu (l.19), les dentelles et la lingerie sont dépliées, froissées, jetées au hasard (l.15) et le romancier parle d'« un peuple de femmes qui se serait déshabillé là sans oublier les secousses suprêmes de la vente (l.6). [...]
[...] Or, paradoxalement, c'est au contraire une victoire du Bonheur des Dames ce qui permet de suggérer la brutalité de la société de consommation moderne, où les triomphes ne se font que dans la violence. III. UNE VISION VIOLENTE DE LA SOCIÉTÉ DE CONSOMMATION MODERNE La métaphore filée du champ de bataille suscite l'assimilation de la société de consommation moderne à une expérience sauvage et brutale et est révélatrice de la violence extrême du désir féminin, de la rivalité entre les vendeurs et de la victoire du magasin sur les femmes. [...]
[...] Et, au milieu de ce vide, Hutin et Favier feuilletaient leurs cahiers de débit, calculaient leur tant pour cent, essoufflés de la lutte. Favier s'était fait quinze francs, Hutin n'avait pu arriver qu'à treize, battu ce jour-là, enragé de sa mauvaise chance. Leurs yeux s'allumaient de la passion du gain, tout le magasin autour d'eux alignait également des chiffres et flambait d'une même fièvre, dans la gaieté brutale des soirs de carnage COMMENTAIRE Introduction : Le chapitre 4 du roman Au Bonheur des Dames (1883) d'Émile Zola évoque la journée du lundi 10 octobre 1864, au cours de laquelle Octave Mouret, le directeur du magasin, met en œuvre la technique commerciale des produits d'appel : il décide de proposer le Paris-Bonheur, une soie d'un rapport qualité-prix exceptionnel, parce que vendu avec une très faible marge, à dessein d'attirer dans son magasin une clientèle nombreuse. [...]
[...] L'écho sonore créé par l'assonance en dans la plupart des phrases concourt à cet effet d'amplification épique. B. L'image d'un lieu dévasté par une force naturelle destructrice Le souffle épique de cette page tient aussi à l'entrelacement de métaphores des catastrophes naturelles pour désigner la présence des très nombreuses clientes : un ouragan un fleuve débordé (l.12) ou un vol de sauterelles dévorantes (l.20-21), qui assimilent la présence des clientes au déchaînement incontrôlé de forces de la nature. La métaphore les secousses suprêmes de la vente marquée par une allitération en ajoute même l'image d'un séisme. [...]
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