Les Armes miraculeuses, Cristal Automatique, Aimé Césaire, poésie, poème, réel, imaginaire
Le texte donné en extrait constitue en apparence un monologue dont les éléments peinent à avoir du sens. On y observe notamment la reprise du motif de la conversation amoureuse, ou plus exactement de la tentative de conversation, largement parcouru par la thématique du féminin et du masculin. Mais le caractère décousu et monolithique de la parole, de même que son entremêlement à des éléments d'un paysage que l'on serait tenté de qualifier d'onirique, nous invitent à nuancer cette première hypothèse. Par ailleurs, le titre, programmatique, mais difficilement intelligible, suggère l'idée d'un empilement de strates, à l'image du processus de cristallisation.
[...] Les premiers mots pourraient ainsi convoquer l'idée d'un couple séparé, sur le point de se retrouver "encore une nuit" (lignes 1 puis 10, Le cristal automatique, 1946). Pourtant, la femme ne se manifeste pas : elle n'est ainsi présente que par le tutoiement du poète "pour penser à toi" (ligne Le cristal automatique, 1946) de même que ses attributs physiques "tes seins" (ligne Le cristal automatique, 1946). Ce morcellement de la femme renforce paradoxalement son absence, qui tarde d'autant plus à apparaître que les premières adresses du poète se font sous des formes non conjuguées : "pas la peine de" (ligne Le cristal automatique, 1946). [...]
[...] De la même manière, le complément de lieux "et dans ma tête" (ligne 16, Le cristal automatique, 1946) peut à la fois concerner le lieu vers lequel la femme tournera ses yeux, mais aussi constituer le début de la proposition suivante "dans la tête c'est toi le maguey éblouissant" (ligne 17, Le cristal automatique, 1946). Autrement dit, le sens du texte reste très largement ouvert et sa structure formelle ne nous permet pas de le déterminer. A ces incertitudes s'ajoute en outre l'usage d'une grammaire simple et unificatrice, comme le montre les usages répétés du gallicisme "il y (lignes Le cristal automatique, 1946) qui font l'inventaire - sur un mode très descriptif - de différents éléments sans rapports entre eux. [...]
[...] ) un fleuve de traîneaux" (ligne Le cristal automatique, 1946) constitue une métaphore de l'écriture comme constitution d'un fleuve. Mais comme de nombreux éléments du texte, les expressions peuvent faire l'objet d'une double lecture : l'expression "dans le courant de la journée" (ligne Le cristal automatique, 1946) peut donc s'entendre dans son sens littéraire signifiant "aujourd'hui" mais également dans son sens littéral, qui mobilise alors à nouveau l'eau. De la même manière, on peut penser que la lecture d'un tel texte s'effectue au moyen des "yeux de rivière" (ligne 16, Le cristal automatique, 1946), qui mobilisent encore une fois l'idée de l'eau. [...]
[...] Le lien avec un méta-discours sur l'écriture elle-même est d'autant plus tentant que le titre est, de ce point de vue, assez programmatique : l'écriture automatique, largement portée par le recours à l'inconscient, est une revendication explicite du courant surréaliste. De ce fait, le re-travail des motifs classiques du poème adressé ou de la féminité comme paysage fécond apparaissent comme des supports à l'élaboration d'un discours plus général sur l'engendrement de l'écriture comme cristallisation c'est-à-dire empilement de couches successives à la manière peut-être d'un palimpseste. A cet égard, la thématique de l'absorption qui traverse le poème définirait l'écriture comme un phénomène d'auto-engendrement. [...]
[...] Cette tension continue s'illustre notamment par la présence en ouverture du texte de la masculinité "l'homme des cavernes" (ligne Le cristal automatique, 1946), tandis que le texte s'oriente progressivement vers la féminité avec les mentions de plus en plus régulières des "baigneuses, journée blonde, seins" (Le cristal automatique, 1946). Cette progression s'accompagne également d'un mouvement d'éclaircissement : si le début du texte était marqué par l'obscurité, évoquée au travers de substantifs comme "nuit, caverne, eau verte, mort" (Le cristal automatique, 1946), il se termine par des références à la féminité plus positives "c'est toi le maguey éblouissant" (ligne Le cristal automatique, 1946), et notamment l'usage du futur "quand viendra l'aube" (ligne 15, Le cristal automatique, 1946), qui marque une rupture de temporalité. [...]
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