Le sujet amoureux se trouve donc, à son corps défendant, condamné au crépuscule, et bien souvent acculé au suicide, comme c'est le cas pour Werther dans Les souffrances du jeune Werther, mais aussi comme le sera le Medjoûn dans Le Fou d'Elsa (...)
[...] La folie d'amour du Fou d'Elsa devient dès lors un renversement lucide des motifs de l'invention et de la défaite. Grenade se déchire, Grenade s'effondre, la langue se déchire et s'invente, nouvelle. Le fou d'amour ne trouve jamais la femme réelle, il ne peut enlacer que son ombre et son parfum : Tu descends lentement de terrasse en terrasse / Mon bel amour à pas de lune dans ma nuit Les souffrances du jeune Werther est, de la même manière, une œuvre qui met en scène cette notion : Tout un monde crépusculaire s'étend devant notre âme Toutefois, chez Goethe, la mort du jeune Werther est annoncée de façon plus explicite. [...]
[...] De même, chez Aragon, Zaïd dit : Serait-ce vraiment le déclin ? Te toucher c'est plus beau que d'être / Et te voir si doux que mourir Aucun remède ne peut soulager la folie d'amour, et toute la vie du sujet amoureux devient crépusculaire : Cette existence est un adieu [ ] On meurt comme on vit [ ] on vit comme on meurt [ ] on meurt comme on meurt. Pourtant, le Medjoûn, ce vieillard qui vient des siècles passés et voit jusqu'aux siècles lointains, accepte cette mort et va jusqu'à se laisser mourir. [...]
[...] Dans les deux textes, en effet, la fin de vie de l'amoureux prend le sens d'un sacrifice offert à la femme aimée, un sacrifice voulu et désiré, qui vise à dépasser l'impossibilité de s'aimer sur terre, en espérant réaliser cet amour au- delà de la vie. La figure d'amour est alors sublimée, voire sanctifiée par le sujet amoureux et acquiert une forme de divinisation. Dans Le Fou d'Elsa, le Medjoûn écrit la prière d'Elsa qui se conclut par Elsa du moins qu'à tes genoux je rende l'âme (p. 331). [...]
[...] Ainsi, une formule du Fou d'Elsa s'applique bien aux Souffrances du jeune Werther : L'écriture n'est point faite pour ce qui passe, mais pour ce qui demeure. La question de l'écriture et du poète, en lien avec notre réflexion sur le suicide et le crépuscule, se trouve donc au premier plan des deux œuvres de Goethe et d'Aragon. Dans ces deux textes, en effet, nous assistons à une identification plurielle du poète à des figures crépusculaires. Dans Le Fou d'Elsa, Aragon s'identifie au Medjoûn qui, lui-même, s'identifie à Djamy. [...]
[...] 102) Dans Le Fou d'Elsa, qui est à lui seul la geste des amants du monde, une citation mise en exergue assassine passé, présent et futur : Futur et passé qui s'effacent. J'y vois le présent qui me tue. L'amour du Medjoûn est lui aussi marqué du sceau de l'impossible, car Elsa est une femme qui ne vit pas encore, elle n'est pas, et ne viendra sur terre que dans quatre siècles, telle est la folie de ce fou d'amour, ce qui engendre la plainte de Zaïd : Toute la vie est devant nous ce désert d'elle. [...]
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