Tout d'abord, il apparaît que l'ambiguïté est à la base de la composition de cette pièce. En effet, dès le premier vers, le poète met en place une antithèse qui structurera le poème entier ; ce paradoxe, c'est celui de la beauté empoisonnée, au sens littéral du terme. L'opposition "vénéneux mais joli" (vers 1) est mise en valeur par la structure de l'alexandrin ; chacun des deux adjectifs antithétiques est placé dans son propre hémistiche sous un accent (...)
[...] Ainsi, d'un même procédé, on peut déduire deux influences presque incompatibles. Le génie d'Apollinaire se situe peut-être dans la réconciliation : il s'inspire souvent de chansons folkloriques, au lyrisme simple, pour les repenser, les sublimer dans ses poèmes. Que l'on songe au poème Mai, Le mai le joli en barque sur le Rhin Ainsi, un jeu d'échange dans les deux sens a pu s'établir et ce poème en est un bon exemple : il inspirera la comptine Colchiques dans les près. [...]
[...] On distingue en fait une pure rêverie poétique, sans cesse ramener à la réalité par des éléments perturbateurs les enfants bruyants, le gardien chantant. Les vaches mangent des colchiques, le poète s'identifie ; les enfants cueillent des colchiques, le poète réitère ; le troupeau s'en va, le poète est mélancolique. C'est comme si le je du poème, au gré du paysage et de ses mouvements aléatoires, laissait son esprit vagabonder. Ces retours perpétuels des métaphores finalement miment la subjectivité du poète dont l'âme erre. En somme, il semble davantage contempler le flot de sa conscience que la nature en elle-même. [...]
[...] En premier lieu, Apollinaire se joue de la contemplation romantique de la nature. Nous avons ici une contemplation bien singulière : le poète d'abord n'est pas spectateur passif. Le vers 7 a pour premier hémistiche Et ma vie pour tes yeux soit 6 syllabes pour 6 mots ; le second hémistiche plombe la phrase comme la passion alourdit la vie du poète. Le poète tente de restituer avec vivacité ce qu'il ressent, de mimer littérairement sa passion. C'est donc bien qu'il n'est pas dans une démarche de spectateur engourdi. [...]
[...] Au temps du poème, tout simplement. Le poème dans son unité pure nous donne, le temps de la lecture, accès à ce paysage où tout est dans tout, paysage strictement poétique. Ainsi, on peut dire qu'Apollinaire va plus loin que Baudelaire : en osant les déstructurations, les répétitions, les tournures paradoxales, il restitue plus efficacement que jamais ce que peut être de fait un univers de correspondances. Ces variations originales pourraient nous donner l'impression que Les colchiques constitue la création érudite d'un poète savant. [...]
[...] Moderne parmi les modernes, Apollinaire et son nouveau souffle poétique fascinera quelques années plus tard les surréalistes, avides de renouvellement langagier : ce poème, en somme, nous permet de comprendre pourquoi. [...]
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