Racine écrit Andromaque en 1667. Sa pièce lui offre une certaine notoriété après le succès qu'elle lui apporte, en ce qu'elle est novatrice, et semble déroger aux règles de la tragédie. Cette scène, à l'acte II, scène 1, le prouve. Elle renouvelle en effet le canon de la scène du confident, mais aussi, et surtout, celui de la femme en fureur, hypostasiée ici par Hermione. La situation du passage nous permet d'expliquer, de manière canonique, les raisons d'une telle fureur : Pyrrhus vient d'avouer son amour pour Andromaque, et de ce fait, son refus de tuer son fils malgré la demande - l'insistance - des Grecs. Hermione se sent donc trahie, comme elle l'affirme d'ailleurs à la fin de l'extrait : "Avant qu'il me trahit, vous m'avez tous trahie.", et incarne ainsi la fureur, parfois même de manière hyperbolique. Il faut donc s'interroger sur le but dans lequel ce canon de la femme en fureur est renouvelé par son hypostase.
[...] La modalisation vient d'ailleurs confirmer cette différence : celle-ci est en effet élevée lorsqu'elle parle de sa haine, utilisant des injonctions, comme aux vers vingt-cinq et vingt-six avec l'anaphore du "Crois". Au contraire, Hermione est incertaine lorsque l'amour reprend le dessus : on peut noter l'anaphore du du vers trente-deux au vers trente-cinq, chacun introduisant un conditionnel. L'incertitude est donc forte. Cette différence permet ainsi de voir apparaître cette métamorphose de l'amour en haine. La structure même du texte met cette métamorphose en avant. [...]
[...] Sur le plan de l'énonciation, la première personne est saturée dans les répliques d'Hermione, et remplacée par la deuxième personne dans celles de Cléone. Syntaxiquement, cette dernière s'efface donc, au profit d'Hermione, qui se met au-devant de la scène. Nous avons donc à faire à une scène canonique du confident, qui nous permet de considérer Hermione comme étant le personnage central de la scène. C'est donc à travers elle que le spectateur apprécie la scène, et ainsi, cette métamorphose de l'amour en haine extrême. [...]
[...] L'amour d'Hermione se métamorphose ainsi en vengeance tout le long de l'extrait, au travers d'une inversion chronologique par rapport à la syntaxe de l'extrait. Ce brassage des deux isotopies majeures, l'amour et la haine, est également mis en avant par une inversion chronologique de la structure du texte par rapport à l'histoire qui y est rapportée. En effet, Hermione, à la fin de l'extrait, se remémore le temps où elle était encore promise à Pyrrhus. Elle évoque le départ de Troie après la victoire des Grecs, dans un récit au passé. [...]
[...] Cette épanorthose induit également un changement de tonalité dans le passage. Du fait de la perte de crédibilité qu'elle engendre sur la parole d'Hermione, la tonalité est alors modifiée. Ainsi, alors qu'Hermione inspire la pitié au début de l'extrait, et que sa haine est tout à fait compréhensible pour le spectateur, puisqu'elle représente un canon ; au contraire, à la suite de cette épanorthose, et plus généralement après qu'elle eût évoqué son désir de vengeance, elle suscite la haine auprès du spectateur, puisqu'elle perd totalement en crédibilité et n'est plus le personnage pathétique que le spectateur s'attendait à voir. [...]
[...] Leur amour ne sera possible que si Andromaque et son fils meurent. On peut également voir dans cette inversion chronologique un renouvellement du taragmos. En effet, la fin de l'extrait correspond au début de leur relation, c'est-à-dire au chaos, à "l'avant". Le début de l'extrait fonctionne ainsi comme un renouvellement de ce chaos, comme si son amour avec Pyrrhus était déjà voué à l'échec. Cette idée est confirmée par le fonctionnement des vers vingt et-un et soixante-cinq, qui fonctionnent de manière identique d'un point de vue de syntaxique : "Il vous aurait déplu, s'il pouvait vous déplaire." (v. [...]
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