Avec La Condition humaine qui paraît en 1933 et obtient le prix Goncourt, le romancier Malraux donne un de ses premiers chefs d'oeuvre. Avec cette oeuvre, l'auteur évoque une partie du monde en guerre, et la Seconde guerre mondiale nous montrera en Malraux, un homme chez qui l'intellectuel et l'homme d'action se confondent. Il commandera en effet une escadrille lors de la guerre civile espagnole en 1937, fera la campagne de France dans les chars en 1940, et sera enfin le ministre de l'information du général de Gaulle en 1945. L'homme pour Malraux est d'abord ce qu'il fait. En ce sens, l'auteur est un aventurier, mais doublé d'un moraliste et d'un philosophe. Dans ce roman historique et philosophique, comme le suggère son titre, La Condition humaine, il situe l'action en Chine, en 1927, dans un contexte révolutionnaire : insurrection communiste contre les puissances occidentales, réprimée par le général Chang-Kai-Chek, chef du parti nationaliste.
La première page du roman, l'incipit, met en scène un personnage en pleine action, Tchen. Ce jeune terroriste chinois, doit assassiner un trafiquant d'armes, afin d'approvisionner le groupe révolutionnaire auquel il appartient. Le lecteur assiste, angoissé, aux préparatifs d'un meurtre prémédité. Il ne peut s'empêcher de suivre ses gestes, ses actions et ses pensées, et tantôt de s'identifier à lui, de l'intérieur, tantôt de l'observer, de l'extérieur.
Dès la première lecture, nous sommes plongés brutalement en pleine action, sans aucune explication ni préambule, et l'action est même déjà commencée. L'auteur suscite avec habileté un suspense haletant, et une atmosphère de peur, de malaise et de violence. Tout est intense et violent. Nous sommes jetés en même temps que le héros dans la nuit d'une chambre inconnue, et dans l'incertitude la plus totale. Nous ne connaissons ni le lieu de la scène, ni le mobile du meurtrier, ni l'identité de la victime. Le terroriste s'interroge avec angoisse sur le décor à peine visible, et sur ses propres mobiles. Et les sentiments de Tchen, complexes et contradictoires, vont évoluer jusqu'à la fin.
En nous appuyant sur ces premières impressions, nous étudierons donc d'abord la valeur dramatique de ce texte. Par quels moyens, organisation du récit, du temps, de l'espace, l'auteur crée-t-il cette atmosphère si prégnante d'attente et de violence ?
Ensuite, nous analyserons sa valeur psychologique et morale. Par quelles techniques narratives, et par quelle écriture cinématographique, le romancier nous éclaire-t-il sur les sentiments et les pensées de Tchen, et sur le débat de conscience qui se joue en lui ? (...)
[...] Malraux de son côté , nous fait vivre la scène tantôt d'un point de vue extérieur, comme celui d'un témoin étranger à la scène, tantôt d'un point de vue intérieur, qui nous permet de connaître les moindres sensations et pensées du héros, à l'instant du meurtre. Chez Camus, le narrateur se confond avec le personnage, par l'intermédiaire de la première personne du singulier, je et il nous livre toutes ses sensations et ses sentiments, exaltés par le soleil. En fin de compte, nous découvrons ici une nature, cadre du meurtre, avec la nuance importante d'un décor intérieur nocturne, chez Malraux. Les trois textes nous offrent un décor, symbole de la tragédie qui se déroule, et reflet des sentiments des personnages. [...]
[...] Combattre, combattre des ennemis qui se défendent ? sans indiquer les guillemets, contrairement à la ligne 20 : Assassiner n'est pas tuer Tantôt nous trouvons, comme souvent, la focalisation zéro : Il se répétait que cet homme devait mourir. Bêtement : Mais pourquoi bêtement ? Cette injonction personnelle que le personnage se lance à lui-même est bien inutile en effet. Tchen a déjà pris la résolution d'aller jusqu'au bout Mais il ne peut s'empêcher de justifier son acte, et devait est répété deux fois. [...]
[...] Tchen pourrait répondre que le don de soi, le fait de mettre sa vie en danger pour défendre les pauvres chinois vivant dans l'humiliation et sous la tyrannie, constitue déjà une réponse durement conquise et valable. Malraux est un romancier moraliste et philosophe. Il reflète ici le problème du terroriste qui cherche à donner un sens à sa vie, en se mettant au service des pauvres et des exploités. [...]
[...] Dans le champ de la caméra, apparaissent confusément la pièce et la victime, et hors champ, la rue est présente à travers le bruit. Et cette présentation renforce encore la rupture entre l'intérieur et l'extérieur, entre le petit univers de Tchen et le monde. Nous nous apercevons également d'un jeu sur les plans : grossissement de certaines parties du corps, paupières battantes doigts crispés qui traduisent l'angoisse, plan moyen sur le corps de la victime sous le moustiquaire, gros plan enfin sur le pied qui fascine et obsède et finit par occuper tout l'espace. [...]
[...] Tchen éprouve dégoût et effroi devant ces images qui traversent son esprit. L'action lui permet donc cette révélation sur son univers intérieur qu'il ne soupçonnait pas, celui de la terreur et du sang. Cette expérience va faire de lui un véritable révolutionnaire, un terroriste qui assume son acte, après avoir vécu le doute, le dégoût et la paralysie. Signalons enfin l'écriture cinématographique utilisée par Malraux, pour nous permettre de mieux participer à l'action et de mieux partager les sensations et les sentiments de Tchen. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture