L'Homme révolté (1951), accueilli par une virulente polémique qui provoque la rupture définitive avec Sartre, marque un véritable tournant dans l'œuvre d'Albert Camus. Les années qui suivirent « coïncident, comme il le déclare lui-même à R.Quillot, avec une sorte de charnière de [s]on travail et de [s]a vie » .
L'auteur de L'Etranger a la douloureuse impression d'être prisonnier de ses propres œuvres, de son image d'écrivain « moraliste » véhiculée par une critique souvent hâtive. A cela s'ajoute l'obsession d'avoir épuisé à quarante ans à peine, toutes ses ressources créatrices, d'être arrivé au terme de son aventure littéraire. Camus sent que son univers vacille sous le poids d'interprétations trop manichéennes, que sa voix se heurte à l'incompréhension.
C'est dans cette période de doute qu'il projette d'écrire un recueil de nouvelles L'Exil et le Royaume (publié en 1957), où il essaiera d'embrasser l'existence humaine dans toute sa complexité, dans toute son ambiguïté.
La Chute (1956), qui faisait originellement partie du recueil, tranche par son cynisme et son humour grinçant avec la production antérieure et témoigne d'un important changement de perspective. Camus entreprend avec L'Exil et le Royaume un retour aux sources : il renoue avec son Algérie natale de L'Envers et l'Endroit, et, hanté par l'idée de culpabilité, tente de retrouver dans le désert l'innocence de « [s]on cœur grec ».
Le recueil, composé de six nouvelles, se présente sous une forme hétéroclite, comme si Camus voulait nous donner la preuve de l'étendue de son talent. En effet, nous passons du monologue du « Renégat » au récit ironique de « Jonas », du texte réaliste des « Muets » aux nouvelles mi-réalistes mi-symbolistes de « La Femme adultère », de « L'Hôte » et de « La Pierre qui pousse », comme le signale R.Quillot.
La nouvelle que nous nous proposons d'étudier, « Le Renégat ou un esprit confus », par son style insolite, par la puissance du monologue intérieur qui s'y déploie, nous semble répondre à l'irrépressible désir de nouveauté de l'écrivain.
[...] Le renégat qui voulait régner [ ] par la seule parole sur une armée de méchants devient un faux prophète, un esprit confus dont le discours n'est qu'un bavardage sans intérêt. L'échec du missionnaire est essentiellement dû à son irrépressible désir de régner c'est-à-dire de contrôler et d'unifier un monde qui lui paraît incompréhensible. La fièvre d'unité s'incarne, tout d'abord, dans un récit à la recherche d'une insaisissable cohérence. En effet, nous remarquons que le texte se construit autour d'images qui reviennent incessamment. [...]
[...] En effet, Le Renégat est le long babil d'un muet : un missionnaire dont on a coupé la langue. Cette parole qui ne peut se réaliser totalement- c'est-à-dire qu'elle reste au stade le l'informulé- prend la forme du monologue intérieur. Nous sommes dans le cas d'un récit particulier où une seule voix résonne, où rien n'est expliqué objectivement, de l'extérieur. La systématisation de ce procédé narratif (à laquelle a eu recours, pour la première fois Edouard Dujardin dans Les Lauriers sont coupés (1887)) ouvre de nouvelles voies au roman moderne dont l'Ulysse (1922) de James Joyce est le texte précurseur. [...]
[...] La nouvelle que nous nous proposons d'étudier, Le Renégat ou un esprit confus par son style insolite, par la puissance du monologue intérieur qui s'y déploie, nous semble répondre à l'irrépressible désir de nouveauté de l'écrivain. Dans cette analyse, nous focaliserons notre attention, d'abord, sur le statut paradoxal de la parole d'un muet. Ensuite, nous verrons que le renégat est un héros épris d'absolu, animé par un rêve d'unité. Enfin, nous étudierons les différentes manifestations de l'exil du missionnaire qui nous amèneront à tracer les contours d'un Royaume qui se confondent avec l'Exil. [...]
[...] En effet, ce que réclame le héros est une réhabilitation absolue de l'homme dont il sera, lui, cet esprit confus le nouveau dieu : [ ] je subjuguerais ces sauvages comme un soleil puissant. Puissant, oui, c'était le mot que sans cesse je roulais sur ma langue, je rêvais du pouvoir absolu, celui qui fait mettre genoux à terre, qui force l'adversaire à capituler [ ] régner par la seule parole Mais en voulant rétablir sur la terre le règne divin, le renégat trahit les hommes car, comme le déclare Camus dans L'Homme révolté, il faut pour être un homme refuser d'être Dieu Le Royaume du Bien n'est ni total ni définitif puisque le christianisme est souillé par l'injustice la plus inacceptable : le sacrifice du Christ. [...]
[...] Une définition précise de ce terne s'impose : Renégat : De l'italien rinnegare renier personne qui a renié sa religion. Personne qui a abandonné, trahi ses opinions, son parti, sa patrie etc. Traître Camus introduit ainsi une notion capitale : la trahison dont nous découvrirons l'importance au fur et à mesure que nous avancerons dans notre analyse. Notre héros n'est pas un simple insensé mais un traître c'est-à-dire un homme qui a opté consciemment pour un choix en opposition totale avec ses convictions antérieures. [...]
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