La pratique de la réécriture est un trait remarquable de la poétique sadienne. Au fil des années, l'auteur corrige, complète, élargit les mêmes textes. Un tel procédé lui permet d'appliquer au-delà des productions particulières des principes esthétiques qui lui sont chers, comme la répétition, le grossissement, l'aggravation. En effet, on constate que les malheurs de l'héroïne sont répétés, décuplés, aggravés, non seulement à l'intérieur de chacune des trois Justine d'un épisode à l'autre, mais encore d'une version à la suivante. Les Infortunes de la vertu, dont le manuscrit date de 1787, développent sous la forme d'un conte philosophique les mésaventures successives d'une jeune femme dont la vertu est systématiquement bafouée et la bonne volonté punie. Justine ou Les Malheurs de la vertu, dont la première édition remonte à 1791, ajoute un principe de progression à la répétition sérielle des Infortunes : si elles sont plus nombreuses et plus développées, les péripéties et les rencontres de l'héroïne procèdent aussi, désormais, d'une gradation vers le malheur. Paru en 1799 sous la forme romanesque, La Nouvelle Justine, tout en conservant les épisodes des versions précédentes, démultiplie les événements et leur violence.
[...] Le processus d'explicitation change la perspective de lecture du texte. À travers les suggestions des deux premières versions, Sade visait une certaine connivence avec son public. En effet, personne n'était dupe de ce qu'il prétendait voiler, et l'imagination du lecteur était stimulée par les images inventives et les détours habiles de la narration de Justine. L'implicite procurait donc au récit une profondeur littéraire et une force supplémentaires. Dans la troisième version, Sade cherche plutôt à choquer. Il passe de la suggestion à la description crue ou, en quelque sorte, de l'érotisme à la pornographie. [...]
[...] Un exemplaire annoté atteste que Sade avait entrepris une relecture de son œuvre ; il avait peutêtre l'idée d'une nouvelle version. Chaque Justine est l'ébauche de la suivante, dans un processus de réécriture qui n'a pas d'aboutissement. Parmi les exemples d'amplification que véhicule l'extrait, on constate une accentuation du procédé de comparaison ou, autrement dit, de la mise en réseau des caractéristiques des moines. Dès Les Infortunes, le père Jérôme est aussi dur et aussi brutal que Clément, encore SADE, op. [...]
[...] Il ne peut pas s'identifier à Justine, qui est encore plus naïve que dans les versions antérieures. Pendant la pénitence de l'héroïne au couvent de Sainte-Marie, les signes comportementaux de Sévérino indiquent indubitablement ses penchants libertins. Le lecteur ne s'y trompe pas. Cependant, Justine, tout ouverte à Dieu, ne devine rien. Ici, vertu religieuse et aveuglement sont presque synonymes. Par ailleurs, la jeune femme perd la parole dans La Nouvelle Justine. Son point de vue est désormais subordonné à celui du narrateur et à celui de l'auteur. Ces trois entités s'expriment tour à tour, créant l'ambiguïté. [...]
[...] À ce propos, une remarque concernant Sévérino s'avère significative : Et quelle inconséquence pourtant dans les opérations de la nature, puisque avec la bizarre fantaisie de ne choisir que des sentiers, ce monstre était pourvu de facultés tellement gigantesques, que les routes même les plus battues lui eussent encore paru trop étroites SADE, op. cit., p SADE, op. cit., p SADE, op. cit., p SADE, op. cit., p SADE, op. cit., p SADE, op. cit., p SADE, op. cit., p SADE, op. cit., p à Facultés tellement gigantesques routes battues et sentiers relèvent encore d'un style implicite caractéristique des deux premières Justine. Pourtant, ce n'est pas l'héroïne qui parle. [...]
[...] D'après Gailliard, qui s'appuie sur Cazenoble, le type du libertin est fixé depuis le Lovelace de Richardson, un séducteur sans scrupule du roman Clarisse Harlow (1748). Ainsi, le type est fixé, Sade n'y ajoute rien ; il peint, repeint, inlassablement autre chose, et à côté »18. Cet à côté est important : Sade ne cherche pas à dresser le portrait d'un libertin idéal ; il tourne autour d'une telle figure pour en proposer des visages extrêmes et variés. Et comme le libertin est, en définitive, l'homme le plus conséquent et le plus proche des lois de la nature humaine, sa perpétuelle redéfinition lui permet d'éclairer des vérités philosophiques sous des angles toujours plus convaincants. [...]
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