"Un silence, voilà qui est suffisant pour expliquer un coeur", déclare Molière; c'est particulièrement le cas dans notre extrait - d'autant plus que Lucinde n'a de toute façon aucune possibilité d'exprimer de vive voix ses désirs. C'est que son père, dans notre extrait de l'acte I de L'Amour médecin, joue ostensiblement l'offusqué: son grotesque changement de comportement entre la scène deux et la trois est ici à la base du procédé comique. Bref, nous avons donc un théâtre léger au sujet trivial, à savoir le consentement paternel au projet de mariage de la fille; est-ce à dire pour autant que cette dimension populaire révèle un profond manque d'originalité, et nous renvoie aux archétypes canoniques des comédies antiques (pensons à Aristophane ou à Plaute)? Certes non, car les pièces de Molière ont leurs singularités - et notre extrait semble particulièrement atypique: c'est que la parole théâtrale a ici perdu toute valeur performative. Le langage, semble-t-il, n'a plus la possibilité de dévoiler la vérité, et le dialogue disparaît. Mais qu'est-ce donc qu'un théâtre sans dialogue? Nous observons donc une tension entre la trivialité et le paradoxe; à cet égard, nous essaierons de montrer en quoi la parole, dans notre extrait, n'a plus aucune valeur - ce qui constitue ici la cause première du comique. Pour ce faire, nous dégagerons dans un premier temps les éléments traditionnels de la comédie; cela nous mènera à considérer par la suite la dimension novatrice du théâtre qui nous est proposé ici - et notamment l'interaction geste/parole.
[...] et te fais le serment qu'il n'y a rien que je ne fasse pour te satisfaire", l. 14-15): il n'est que trop évident que Sganarelle joue la comédie ("faisant semblant de ne pas entendre") Le comportement grotesque de la figure paternelle - n'oublions pas que le père de famille a tous les droits, notamment concernant le mariage de sa fille - est donc une première cause du comique: entre sénilité et hypocrisie, nous sommes bien loin de la maturité et de la modération que nous serions en droit d'attendre du personnage. [...]
[...] 81-83-85, voire "un mari, un mari, un mari", l. 87 Cet échange bouffon rappelle celui sur la dot dans l'Avare; là encore, un serviteur se jouait du maître. Toutefois, il serait excessif de parler ici de l'archétype du serviteur rusé tel que nous le connaissons depuis l'Antiquité; tout au plus pouvons-nous voir Sganarelle comme un personnage typique en tant qu'incarnant un vice - l'hypocrisie, dans notre extrait. Le dialogue de sourds sonne profondément faux, comme le souligne Lisette au début de la scène quatre; les ficelles du comique sont donc grossières bien qu'efficaces. [...]
[...] L'action dramatique semble donc concentrée en vue de tenir le spectateur en haleine. Dans le même ordre d'idées, remarquons que la scène deux ne présente point un fastidieux soliloque du père: c'est un dialogue entre les paroles de Sganarelle d'une part, et les gestes ou les silences de Lucinde de l'autre; le même phénomène se retrouve à la scène trois entre Lisette et Lucinde. Les échanges s'accélèrent dans la seconde partie de celle-ci (l. 50-87); cette précipitation soudaine participe toujours de la vigueur de la pièce, de la dimension populaire de ce théâtre: il ne faut pas laisser le spectateur reprendre son souffle. [...]
[...] Faut-il pour autant confondre le classique avec le traditionnel? Nenni, car notre extrait nous offre des éléments théâtraux profondément originaux. De fait, le passage nous présente un théâtre spécifique et novateur par bien des aspects; plus précisément, il semble que le geste ait une grande importance dans l'extrait - la puissance du langage s'en trouvant corrélativement amoindrie. Nous étudierons tout d'abord la place de la composante physique dans ces scènes; il faudra également analyser la perte du pouvoir performatif des mots. [...]
[...] Mais, nous allons le voir, si le geste est un adjuvant précieux, cela ne veut pas forcément dire que le mot a les pleins pouvoirs: qu'en est-il en effet de sa puissance performative? Il est bon en effet de rapeller que le langage n'a jamais autant de force qu'au théâtre: les bienséances restreignant grandement la possibilité de représenter des actions. Combien de fois les mots y ont-ils plus tué que les armes? Certes, c'est surtout le cas dans la tragédie - mais chaque déclaration, chaque condamnation, chaque jugement est irrévocable une fois prononcé. [...]
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