"Zone" ouvre le recueil d'Alcools qu'Apollinaire publie en avril 1913. Cette place liminaire indique l'importance que le poète accordait à son poème, dans lequel il voyait, en effet, un texte novateur. C'est pourquoi d'emblée, dans les vingt-quatre premiers vers que nous allons commenter, il entonne un hymne à la modernité et tente de renouveler les formes poétiques. Toutefois, il demeure conscient que le modernisme et le progrès ne peuvent apaiser son inquiétude spirituelle.
Dès le début, Apollinaire, s'adressant à lui-même, condamne le passé : "À la fin tu es las de ce monde ancien". Il le fait avec une certaine exagération, puisqu'il ajoute : "Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine". Comme il est évident qu'à cette époque l'on ne vivait déjà plus, depuis longtemps, dans l' "Antiquité", il convient de ne pas prendre cette déclaration au pied de la lettre. Son caractère hyperbolique, outré, manifeste la lassitude du poète, sa réprobation de tout passéisme, de toute complaisance à l'égard du passé.
[...] Conclusion Par son importance, "Zone" justifie sa place en tête d'Alcools. Son "modernisme", les innovations poétiques qu'il renferme en font un poème clé de l'oeuvre d'Apollinaire. Partisan résolu de la nouveauté, celui-ci n'en devine pas moins la misère spirituelle de son temps, Apollinaire chante ses joies et ses inquiétudes personnelles, elles sont aussi celles de toute époque, à la fois heureuse et inquiète de vivre. [...]
[...] Apollinaire se promène dans Paris et voici que la "grâce" d'une "rue industrielle" (v. 23) l'envahit. Il s'attarde près d'une usine : "Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes Du lundi matin au samedi soir, quatre fois par jour y passent". Rien n'évoque, dans ces vers, l'effort de l'homme, la dureté du travail en usine. Tout paraît beau au poète, à l'exception de quelques bruits discordants : le "gémissement" d'une "sirène" (v. 19) et cette "cloche râleuse " qui, par une métaphore animale, "aboie" la cloche étant implicitement comparée à un chien qui "aboie" d'une manière rageuse). [...]
[...] Ici, Apollinaire détache les vers 1 et 3 pour mettre en évidence une réflexion ; là, il réunit les vers 7 à 14 pour mieux développer sa pensée. Ailleurs, les groupements correspondent à une vision rapidement entrevue, celle de la "tour Eiffel" (v. ou à un tableau plus riche, plus complexe, tel celui de la description de la rue dans les vers 15 à 24. Cette utilisation des blancs permet à Apollinaire de disposer les uns à la suite des autres des objets fort différents : la "tour Eiffel" (v. "les automobiles" (v. "les hangars de Port-Aviation" (v. des "fenêtres" (v. "une église" (v. "une cloche" (v. [...]
[...] Tout ce qui fait partie de l'existence familière devient matière artistique, même les feuilletons policiers, dont Apollinaire était féru (de "Fantomas" notamment). Enfin, l'exaltation de la modernité apparaît dans la joie que le spectateur de la rue engendre chez le poète. On le sent habité par un bonheur intérieur. Tout est clair, net. L'auteur marche dans une "jolie rue" (v. 15). Pour la décrire, il se sert d'un procédé cher à Baudelaire, d'une "correspondance" entre la lumière et le son : "Neuve et propre du soleil elle était le clairon" (v. 16). [...]
[...] Les vers et 24 ne riment ni n'assonent entre eux, provoquant ainsi un effet de surprise. Apollinaire use donc de toutes les ressources sonores possibles. Enfin l'organisation même du poème est originale, "moderne" a on-dit à l'époque (c'est-à-dire rompant avec la tradition). Les vers ne sont pas regroupés en strophes. Les groupements s'effectuent selon la fantaisie de l'auteur. Tel un promeneur qui s'arrête au hasard de sa marche, Apollinaire répartit ses vers en des masses inégales, grâce à des blancs (espaces). [...]
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