Quant à l'origine de la société, Alain propose une thèse limpide : plus que la faim, c'est la faiblesse de l'individu pendant le sommeil qui conduisit les humains à se rassembler.
Le texte soulève un problème ultra-classique. Quelle impulsion détermina les individus à s'associer ? La réponse à cette question détermine les missions premières de la société et, par voie de conséquence, la légitimité de l'Etat (...)
[...] Aussi le Souverain a-t-il pour mission fondamentale non d'assister les sujets dans leur recherche du bonheur, mais de faire régner l'ordre et la sûreté. Ces deux visions antagonistes de l'Etat découlent, on le voit, des causes psychologiques que les auteurs supposent à l'origine du rassemblement : sympathie spontanée pour autrui chez Aristote (par le biais du logos - il faut entendre "sympathie", ici, au sens étymologique de "participation aux émotions d'autrui"), peur d'une menace extérieure chez Hobbes. Ces enjeux bien compris, le mouvement du texte apparaît clairement. [...]
[...] Alain estime, dans cette perspective, que loin de rapprocher les individus, la faim aurait au contraire pour effet de les disperser - opérant ainsi un renversement complet par rapport à la position platonicienne. Radicalisant le propos, et rappelant l'alternance quotidienne de la faim et de la fatigue, Alain termine en dressant un portrait ambivalent des citoyens : tantôt anarchistes affamés, tantôt respectueux des lois à bout de forces. L'analyse d'Alain paraît critiquable : si la société surgit sous l'effet de la fatigue, alors l'Homme n'est pas stricto sensu "citoyen par nature" au sens où Aristote peut l'entendre ; du reste il n'est pas certain que la faim éloigne les individus : en déduire l'anarchisme paraît assez spéculatif. [...]
[...] La réponse à cette question détermine les missions premières de la société et, par voie de conséquence, la légitimité de l'Etat. A titre préliminaire, comparons sur ce point deux doctrines adverses : Aristote (dans les Politiques) voit dans la société l'effet de la nature humaine (celle d'un "animal qui parle", animal sociable "au plus haut degré", pour qui la philia constitue le plaisir le plus noble et la garantie la plus sûre d'une vie excellente). Aussi la polis, dans l'enseignement politique d'Aristote, vise-t-elle le bonheur des citoyens. [...]
[...] Alain, Propos sur les pouvoirs : l'origine de la société On serait tenté d'expliquer toute l'organisation sociale par le besoin de manger et de se vêtir, l'Economique dominant et expliquant alors tout le reste ; seulement il est probable que le besoin d'organisation est antérieur au besoin de manger. On connaît des peuplades heureuses qui n'ont point besoin de vêtements et cueillent leur nourriture en étendant la main ; or elles ont des rois, des prêtres, des institutions, des lois, une police ; j'en conclus que l'homme est citoyen par nature. [...]
[...] Pourtant, Alain poursuit en mentionnant un autre besoin (de repos, en l'occurrence), qu'il situe aux fondements de l'organisation sociale. Même à Hawaï, même dans un pays de cocagne, les humains dorment ; or le sommeil se présente pour nous comme un état de vulnérabilité extrême. Platon, rapportant le mythe de Prométhée, juge l'humain, privé de griffes, de cornes, de carapace etc., "le plus démuni d'entre les animaux". Aristote nuance en précisant que l'humain jouit d'une intelligence supérieure, qui lui permet de pourvoir à ces défauts ; mais précisément, pendant le sommeil, l'intelligence et les perceptions sont remplacées par le rêve. [...]
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