Le poète martiniquais Aimé Césaire (1913-2008) invente la notion de négritude en 1935 dans la revue L'Etudiant noir : ce néologisme deviendra concept puis mouvement littéraire et politique, dès la publication du Cahier d'un retour au pays natal en 1939 : Césaire et d'autres écrivains noirs, tel Léopold Sédar Senghor, revendiquent à travers la négritude, leur identité et leur culture noires, et dénoncent l'oppression du colonialisme qui précisément étouffe cette identité et cette culture, à force d'assimilation et de réduction. La négritude semble donc d'abord intrinsèquement liée à l'histoire, une histoire, celle du peuple noir des anciens esclaves ; mais lorsque Césaire prononce à l'Université internationale de Floride de Miami le Discours sur la Négritude en 1987, la décolonisation est effective depuis longtemps. C'est l'occasion pour lui de réexaminer l'actualité de cette notion. Quel sens lui donne-t-il et comment construit-il cette définition ? Nous étudierons d'abord cette tentative de redéfinition à travers le discours de l'orateur. Ensuite, nous verrons que c'est avant tout la parole d'un poète que nous lisons, plutôt que celle d'un orateur, d'où le texte tire sa grande puissance d'adhésion. Enfin, c'est l'actualité de la négritude, vue comme un humanisme actuel et peut-être salvateur, que nous soulignerons.
I. Un discours qui cherche à redéfinir la négritude
1) Situation d'énonciation et implication de l'orateur
- aux lignes 27-28, Césaire insiste bien sur le lieu et l'occasion du discours :
« un congrès culturel » : lieu de réflexion, parmi des élites intellectuelles, au sein d'une Université internationale ; nous trouvons le présent d'énonciation « je choisis de le dire » à la ligne 28.
« Miami », la ville la plus peuplée de Floride, Etat tourné vers les Caraïbes, responsable de la déportation des Séminoles (Amérindiens) et esclavagiste (44% de la population en 1860 étaient des esclaves) au XIXème siècle ; de nos jours, Etat d'une grande mixité culturelle, avec influences hispaniques, afro-américaines, etc. et terre d'élection des émigrés cubains. L'histoire de la Floride est donc directement concernée par le concept de négritude (...)
[...] L'Existentialisme est un humanisme, 1946), figure de l'intellectuel engagé au XXème siècle mais la réconciliation entre parole et action se fait, chez Césaire comme chez Senghor, par la poésie, et une poésie relativement récente, qui ne peut ainsi souffrir du soupçon qui a durablement fragilisé après la deuxième guerre mondiale toute la pensée rationnelle européenne. Symboles primitifs présents dans l'imaginaire des peuples et leur inconscient collectif Qui modèle, qui façonne. Ami de Césaire, président du Sénégal (1960-1980), poète, grammairien, académicien. Principes de base de la pensée. [...]
[...] civilisation éminente et prestigieuse (l. 33-34) : c'est dire que le poète reste nuancé (en reconnaissant par exemple des qualités), et que son discours ne se présente pas comme une accusation agressive ou revancharde. La modalisation Je crois que l'on peut dire (l. 28) va dans le même sens. C'est surtout l'autocentrisme de la culture européenne qui est dénoncé, à travers la répétition (l. 34- 36) du verbe abuser dans l'adverbe abusivement et celle des possessifs son prestige ses propres dimensions ses seuls postulats ses catégories propres Césaire ne rejoint pas seulement Senghor, mais aussi Montaigne pour qui l'homme se prenait pour une sorte de roi du monde (cf. [...]
[...] La Négritude est donc un combat spirituel. Césaire dépasse l'histoire limitée à celle du peuple noir et de l'esclavagisme. - Enfin, dans le dernier paragraphe, Césaire, à partir du réductionnisme européen envisage une autre définition : la Négritude est reconquête de soi, dès lors que les valeurs universelles sont niées, c'est-à-dire quand une civilisation se considère supérieure à une autre ; la Négritude rejoint l'humanisme : les dernières utilisent quatre fois le nom homme et une fois l'adjectif humain L'avant-dernier paragraphe rappelle l'historicité de la négritude avec le passé composé a été et mais le dernier laisse entendre que c'est à chaque moment de l'histoire on voit et on n'a que trop vu où l'universel est nié que la négritude trouve tout son sens de résistance : elle accompagne l'histoire au lieu d'être simplement datée par elle. [...]
[...] Elle n'est pas de l'ordre du pâtir et du subir. Ce n'est ni un pathétisme ni un dolorisme. La Négritude résulte d'une attitude active et offensive de l'esprit. Elle est sursaut, et sursaut de dignité. Elle est refus, je veux dire refus de l'oppression. Elle est combat, c'est-à-dire combat contre l'inégalité. Elle est aussi révolte. [...]
[...] Singulièrement, et soit dit en passant, je n'ai jamais pu me faire à l'idée que des milliers d'hommes africains que la traite négrière transporta jadis aux Amériques ont pu n'avoir eu d'importance que celle que pouvait mesurer leur seule force animale - une force animale analogue et pas forcement supérieure à celle du cheval ou du bœuf - et qu'ils n'ont pas fécondé d'un certain nombre de valeurs essentielles, les civilisations naissantes dont ces sociétés nouvelles étaient en puissance les porteuses. C'est dire que la Négritude au premier degré peut se définir d'abord comme prise de conscience de la différence, comme mémoire, comme fidélité et comme solidarité. Mais la Négritude n'est pas seulement passive. [...]
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