L'Afrique fantôme, p.263-267 - Michel Leiris (1981) - Comment l'auteur renouvelle-t-il l'approche traditionnelle du pacte viatique en nous soumettant un récit déclaré subjectif ?

Thèmes abordés

L'Afrique fantôme, p. 263-267, Michel Leiris, approche traditionnelle, pacte viatique, récit subjectif, récit de voyage, objectivité, tourisme, avant-propos, réflexions personnelles, commentaire de texte

Résumé du document

Avec "L'Afrique Fantôme", Michel Leiris offre une toute nouvelle perspective au genre viatique et aux récits de voyage tels qu'on les connait jusqu'alors. En 1931, l'auteur rejoint un groupe de spécialistes pour une expédition, en Afrique, aux visées scientifiques. S'il doit d'abord tenir un carnet de route, Michel Leiris se laisse vite subjuguer par son désir de subjectivité qu'il juge primordial. Sa plume surprend et son style est inhabituel. L'on découvre dans cet extrait l'évolution de son avant-propos. Ses écrits éparpillés et laissés tels quels, sans en modifier la typographie par exemple, ont l'air d'un brouillon. Cependant dans cet avant-propos, il apparaît une ligne argumentative et un désir de convaincre le lecteur de sa thèse : "c'est par la subjectivité (portée à son paroxysme) qu'on touche à l'objectivité."

Extraits

[...] Un rejet des pratiques traditionnelles du genre viatique Le pacte viatique traditionnel suit une règle précise : l'auteur se doit d'être à la fois le voyageur et le narrateur. Ainsi, le récit restitué est censé être le plus objectif possible. Nombreux sont donc les auteurs de récits de voyage à avoir pris beaucoup de recul sur leurs écrits jusqu'à prétendre atteindre cette objectivité et parfois même inventer tout un pan du récit. Cela dit, Michel Leiris veut offrir à son lecteur une nouvelle approche. [...]

[...] Positionnement et annonce de la tonalité viatique de l'œuvre L'auteur établit le projet de lecture Ce passage permet à Michel Leiris d'établir la tonalité de l'œuvre entière. En effet, il guide le lecteur à ce à quoi il doit s'attendre tout en lui imposant une vision propre. L'on peut relever un certain rapprochement entre l'auteur et le lecteur, car, suite à la lecture de cet avant-propos, l'on peut s'attendre à lire des phrases simples et authentiques comme l'est un album de photos sans cadres ni retouches. [...]

[...] L'emploi du conditionnel par ailleurs, au début de son propos, tandis qu'il illustre tous les genres auxquels il aurait pu soumettre ses notes, est un parfait moyen d'expliciter son envie d'être mis à part : « Je pourrais faire paraître un livre qui serait soit un roman d'aventures ( ) ». Un moyen qui lui permet de naviguer plus aisément en eaux troubles. Il ne souhaite pas que le lecteur fasse de comparaisons et explique ses intentions avec force. C'est pourquoi l'énonciation comme l'aspect typographie de cet extrait peut sembler spontanée, mais, a contrario, perçue comme stratégique. D'autant plus que l'auteur ne se contente pas d'expliquer son point de vue Il l'impose en réalité et par la même occasion rend des comptes aux auteurs du genre viatique. [...]

[...] La prise de recul d'ordinaire nécessaire est balayée par Michel Leiris qui se veut transparent pour que le lecteur puisse saisir l'instant et ses sentiments. Cela passe par la typographie - avec un style parfois de télégramme - des changements de police ou l'énonciation (par exemple : « Titre du livre : L'Ombre de l'aventure. »), et donne cet effet de notes prises sur place, à l'instant et qui n'ont pas été modifiées par la suite. Tout en faisant cela il dénonce ainsi les auteurs viatiques qui en retravaillant leur perspective et en s'adaptant à leur public dans une recherche d'objectivité en réalité trompe le lecteur. [...]

[...] Dans la deuxième partie de cet avant-propos, il rajoute à ces procédés une explication de son choix : l'auteur guide le lecteur dans son raisonnement toujours avec une subjectivité revendiquée. Alors qu'il semble vouloir se montrer en retrait « Je ne suis pas qualifié pour donner un compte rendu d'ensemble de cette expédition scientifique et officielle. » Le lecteur peut comprendre la tonalité sarcastique de tout ce passage. Ici, Michel Leiris tente de lui faire comprendre que cette œuvre porte une valeur bien supérieure, selon lui, pour ce qu'elle est : authentique. [...]