L'aménagement du domaine de Charlotte et Edouard est l'un des fils conducteurs qui guident le roman de Goethe, Les Affinités électives. Le thème du paysagisme est présent dès le premier chapitre, et est suivi tout au long du récit, étant la source d'évolution des personnages ou des relations qu'ils entretiennent. C'est ainsi que Charlotte, la première en charge de ce domaine, s'en voit destituée par le Capitaine, qui montre des aptitudes plus grandes. La question de l'aménagement est étroitement entremêlée avec celle des plaisirs : si les personnages tiennent autant à ce qu'il soit réalisé, c'est qu'ils espèrent jouir ainsi de toutes les richesses que leurs terres contiennent, et les rendre accessibles à la fois de façon ludique et aisée. Les promenades sont en effet une occupation de premier choix dans la vie de Charlotte ; à l'inverse, elles le deviennent d'autant plus au fur et mesure que le dessein paysagiste prend de l'ampleur.
A la fin du chapitre VII du premier livre, les desseins ne sont pas encore arrêtés ni réalisés. Les quatre personnages principaux que sont Edouard, Charlotte, Odile et le Capitaine, entreprennent une de ces promenades, qui les mène à se séparer : d'un côté Edouard et Odile, qui suivent des sentiers encombrés et peu praticables, mais plus directs pour se rendre à la métairie, de l'autre Charlotte et le Capitaine, qui prennent les routes plus dégagées.
Comment le fil conducteur de l'aménagement du domaine permet-il la distinction plus nette des couples et l'émergence de la figure-phare d'Odile ?
[...] Celle-ci participe de l'érection du couple physique en couple amoureux : Edouard demande à Odile d'ôter de sa poitrine le portrait de son père qu'elle porte toujours en cet endroit et lui paraît dangereux. Les termes exacts sont aux lignes 18-19 de la page 98 : éloignez de votre poitrine un objet dont la proximité me semble si dangereuse Poitrine renvoie à la fois au corps et aux sentiments amoureux, ce qui fait que par métonymie, en obtempérant à la demande, et en tendant l'objet à Edouard, elle lui offre son cœur. [...]
[...] Les prises de parole individuelles sont signalées par la citation du prénom du personnage : Edouard apparaît cinq fois dans ce passage, c'est le personnage le plus individualisé. Odile est à égalité numérique avec le Capitaine (deux), cependant l'apparition de sa parole est mise en scène par Odile avait gardé le silence (l.35, p.100) : l'emploi du plus-que-parfait induit une lecture rétrospective de tout ce qui précède, excluant Odile des tournures plurielles ou indéfinies pour désigner les convives s'entretenant. Ainsi, sa parole devient exclusivement individuelle. [...]
[...] Enfin, nous remarquerons la mise en lumière d'Odile et son apparition comme personnage principal du roman. La problématique de l'aménagement du domaine, présentée comme un passe-temps pour Charlotte, et comme une étape de l'installation en couple d'Edouard et Charlotte, est au cœur du récit depuis le départ, et le sujet de discussions précédentes. La tâche qui semblait en effet avoir échu à Charlotte lui est retirée par l'arrivée du Capitaine. Ce dernier juge la qualité de son travail médiocre et sa démarche peu rigoureuse, ce qui rend le résultat peu convaincant et peu pratique. [...]
[...] Cette promenade anecdotique est le théâtre d'une prise de décision importante pour la suite du récit. Elle met en jeu des rapports de force subtils dont l'évolution, déjà débutée auparavant, se cristallise ici autour des couples, d'une part Edouard-Odile, d'autre part Charlotte-le Capitaine, qui se forment physiquement d'après des affinités intellectuelles et de caractère clairement exposées. Le débat est dominé par Odile, qui brille par son silence, puis par son acuité, et dont le potentiel de personnage principal se révèle ici, éclairé par le regard amoureux d'Edouard. [...]
[...] Après avoir accueilli Charlotte et Edouard pour la proposition de faire venir le Capitaine, elle avait accueilli Charlotte, Edouard et le Capitaine pour la discussion sur les réactions chimiques du chapitre IV, qui expliquait comment, lorsque deux couples complémentaires d'éléments chimiques sont mis en présence l'un de l'autre, les couples se défont, et se reforment suivant d'autres équations chimiques. Ce passage du chapitre IV, qui fonde et explicite le titre de l'œuvre, accepte très explicitement son caractère analogique avec les affinités humaines. La cabane de mousse accueille cette fois-ci les quatre personnages. [...]
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