Pour présenter la rencontre des deux héros de son roman où le jeune et inexpérimenté chevalier des Grieux est entraîné dans l'inconduite par une jeune femme entreprenante et dévergondée, l'abbé Prévost a eu recours à une technique particulière. Soucieux de conférer à son récit le caractère d'un document et d'enrichir la relation de l'événement en la présentant comme le témoignage du principal protagoniste, il a donné la parole à un Des Grieux mûri. Tandis que ce narrateur nous livre ses souvenirs en sollicitant notre indulgence, nous assistons au travail de décantation de sa mémoire ; mais nous découvrons aussi l'effet d'orchestration obtenu par le biais des fréquentes anticipations ; et, pour finir, nous apparaît un texte fort ambigu puisque l'évocation d'un souvenir heureux semble rétroagir sur le témoin et modifier son point de vue initial sur l'amour. Examinons successivement ces trois points.
Justification du plan
Problématique : La première rencontre, qui raconte, quand ?
Le choix de l'auteur est ici manifeste : il a recours à un narrateur qui reconstitue après coup une scène décisive, sa rencontre avec l'être aimé. Il nous a paru logique, exploitant d'abord le recul du narrateur, de considérer ce que cette situation lui permettait d'ajouter ou de retrancher au fait brut originel : protestation de moralité et travail sur le souvenir. Mais il se trouve que l'auteur exploite l'effet d'anticipation sur l'avenir, rendu possible par la technique choisie. Il tire parti enfin de l'effet de rétroaction du récit sur le récitant : le plaidoyer tourne à l'éloge de l'amour.
I. Plaidoyer et travail du souvenir
A. Hélas !
Il semble manifeste, au départ, que l'homme qui nous parle commente son expérience dans le sens de la contrition et de l'apologie personnelle. Le "hélas" de la première ligne indique assez quel jugement il porte sur son aveuglement passé, et le sentiment qu'il a d'avoir commis une faute s'exprime avec solennité, voire grandiloquence (...)
[...] On ne ferait pas de l'Amour une divinité s'il n'opérait souvent des prodiges . par ces mots, le narrateur balaie tout ce que la perte d'innocence déplorée au début du récit pouvait avoir de platement moralisateur. Conclusion partielle Le texte est donc manifestement ambigu dans la mesure où le narrateur porte un regard littéralement émerveillé sur la catastrophe providentielle qui l'a rendu malheureux. Conclusion : morceau de bravoure ; de la contrition à l'enthousiasme ; habileté Les premières rencontres sont les passages obligés et constituent souvent les morceaux de bravoure des romans d'amour. [...]
[...] Elle me dit, après un moment de silence, qu'elle ne prévoyait que trop qu'elle allait être malheureuse, mais que c'était apparemment la volonté du Ciel, puisqu'il ne lui laissait nul moyen de l'éviter. La douceur de ses regards, un air charmant de tristesse en prononçant ces paroles, ou plutôt, l'ascendant de ma destinée qui m'entraînait à ma perte, ne me permirent pas de balancer un moment sur ma réponse. Je l'assurai que si elle voulait faire quelque fond sur mon honneur et sur la tendresse infinie qu'elle m'inspirait déjà, j'emploierais toute ma vie pour la délivrer de la tyrannie de ses parents, et pour la rendre heureuse. [...]
[...] Cependant, les bénéfices que l'auteur a su tirer de son narrateur ne s'arrêtent pas là. En effet, à mesure que se déroule la confession, le texte semble changer de sens ; et tout se passe comme si les protestations d'innocence du jeune garçon avaient pour effet de glorifier le sentiment amoureux capable d'une si prodigieuse et immédiate conversion. III. Éloge de l'amour A. Un héros chevaleresque Est-ce l'effet du récit sur le narrateur, l'évocation de la rencontre ranimant des braises mal éteintes ? [...]
[...] Hélas ! 5 B. Des faits réorganisés 6 Des lacunes 6 Une mise en scène rétroactive 6 Une étrange précision 7 Conclusion partielle et transition 8 II. Anticipations au service du tragique 9 A. Artifice romanesque 9 B. Le destin 10 Portrait moral 10 Le lecteur aux premières loges 10 Le piège fatal 11 Conclusion partielle et transition 11 III. Éloge de l'amour 13 A. Un héros chevaleresque 13 B. [...]
[...] On pourrait céder à cette tentation d'autant plus aisément que la conversation entre les jeunes gens est transcrite au style indirect . Les premiers mots de la personne aimée n'auraient-ils laissé aucune trace dans le cœur de l'amant ? Il faut y regarder de plus près. Une mise en scène rétroactive C'est en effet le souvenir d'une émotion pure, débarrassée de tout détail et de toutes circonstances qui nous est ici livré : l'amour semble avoir frappé avant même toute appréhension visuelle approfondie ; une expression comme je m'avançai vers la maîtresse de mon cœur témoigne clairement de ce fait. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture