Si le terme d' « esthétique » apparaît pour la première fois pour désigner la théorie du beau dans l'ouvrage de Baumgarten, Aesthetica, publié entre 1750 et 1758, les réflexions sur l'art, elles, remontent à l'Antiquité, mais connaîtront à cette époque, aux XVII° et XVIII° siècles, un tournant particulier. En effet, c'est vers le XVIII° siècle que les philosophes, comme Diderot, Hutcheson ou encore Kant, s'approprient la question de la beauté, laissant aux critiques d'art le soin d'évaluer les œuvres. Tout le problème réside alors dans la nécessité de conserver une certaine substantialité de la beauté pour ne pas tomber dans un total relativisme en matière d'appréciation de l'art, tout en réalisant un subjectivation du beau, née du besoin d'en finir avec les carcans que constituait la notion d'œuvre. Or, de tels changements introduisent la nécessité d'étudier la façon dont la beauté est aussi ce que le spectateur appréhende, et non pas seulement un amas de canons esthétiques et de techniques, ainsi que la façon dont se fait cette appréhension.
Or, il est intéressant notamment d'étudier la place que le spectateur occupe dans Les Ménines de Vélasquez. Car, si l'étude de cette peinture a une pertinence dans une telle problématique sur la place du spectateur, c'est bien en cela qu'elle est une véritable mise en scène du regard esthétique. La toile, Les Ménines, a fait couler beaucoup d'encre et a donné lieu à de nombreuses interprétations, dont celle de Foucault au chapitre 1 de Les mots et les choses, intitulé « Les suivantes », qui va constituer le fondement de cette étude, et qu'il faudra confronter à celle de D. Arasse, par exemple, dans On n'y voit rien, son article « L'œil du maître ». Ce tableau a aussi donné lieu à plusieurs reproductions, par Picasso notamment qui en a composé plusieurs versions.
Une telle démarche implique de se placer de deux points de vue différents, et d'autant plus face à cette oeuvre :
- tout d'abord, concernant la façon dont se situe le spectateur par rapport à la toile et dont il la perçoit.
- Mais aussi, la façon dont la toile interpelle le spectateur et lui donne ou non une certaine place, parfois même une fonction.
Poser la question de la place du spectateur dans Les Ménines de Vélasquez, c'est donc tenter de percer le mystère d'une telle composition qui est à plusieurs niveaux auto- représentation, non en prétendant l'élucider, mais en essayant d'en comprendre les implications sur le regard de celui qui fait ici à la fois que le tableau a une raison d'être (il représente quelque chose à quelqu'un), mais qui est en même temps élidé par le tableau lui- même dès lors qu'il tente d'en percer le sens : le spectateur.
[...] Miroir, qui joue un véritable rôle dans la représentation, en tant qu'il semble tout d'abord en donner la clé (il fonctionne en toute honnêteté mais ne fait en réalité que la compliquer (car, en sa claire profondeur, ce n'est pas le visible qu'il mire il ne reflète de plus rien de ce qui dans le tableau est dans son champ). Car, les deux silhouettes qui s'y mirent semblent bien être celles du roi Philippe IV et de sa femme Marianna. Ce serait donc eux en réalité qui occuperaient la place en avant du tableau, où le spectateur lui- même est dès lors érigé en intrus. [...]
[...] Conclusion Le spectateur dans les Ménines, d'après le commentaire qu'en propose Foucault, semble donc occuper une place plus que paradoxale de présence invisible, à la fois constitutive et négatrice de la scène. Or, cette ambiguïté du tableau peut se confirmer à l'aune des analyses de la théâtralité que M. Fried, dans son ouvrage La place du spectateur, applique à la peinture. Il oppose une conception dramatique du tableau, qui ferme l'œuvre à la présence du spectateur (modèle de Diderot), à la conception pastorale qui, elle, absorbe le spectateur. [...]
[...] Description du tableau et place centrale du spectateur dans la scène les personnages La description de Foucault des Ménines intervient de façon assez abrupte dans son ouvrage. Le lecteur est directement projeté dans le tableau. Ses yeux sont invités à se poser d'abord sur le peintre. Celui- ci est caractérisé comme étant légèrement en retrait du tableau La question se pose dès lors du moment de la scène : se trouve- on au début ou bien à la fin de la composition qu'il semble être en train de réaliser ? [...]
[...] Arasse conclut ainsi son commentaire, en faisant de Vélasquez un apprenti sorcier de la peinture : il a construit sa représentation sur un objet (le roi et la reine) qui, tout en étant à l'origine de la représentation, n'y est pas donné visiblement _ sinon sous la forme du reflet d'une présence aussi insaisissable qu'originelle. Le spectateur ici ne trouve donc qu'une place quasi nulle, d'un observateur qui ne voit rien de cette puissance royale dont la toile serait une allégorie . Retour à Foucault : quelle place du spectateur dans cette représentation de la représentation ? Dans l'interprétation de Foucault, le spectateur est plutôt assigné à une place plus mystérieuse qu'inexistante. L'enjeu a augmenté pour lui. [...]
[...] Mais l'acte de création et celui de perception semblent intrinsèquement liés dans cette œuvre plus que dans aucune autre. Et, si en se penchant de plus près sur l'œuvre, le spectateur peut croire à une duperie, il n'en reste pas moins, qu'il est l'acte créateur de cette duperie, il est celui sans qui l'œuvre ne poserait aucun problème et n'aurait aucune équivocité. Un spectateur invisible Les notions de visibilité et d'invisibilité occupent une place importante dans le commentaire de Foucault et interviennent dès la première page pour qualifier tout d'abord la silhouette du peintre puis son regard. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture