Médée, Sénèque, pièce de théâtre, incantation, personnage, intensité dramatique, Jason, illustration, monologue, théâtre classique, vengeance, macabre
L'abandon de Médée par Jason constitue dans le théâtre classique un motif littéraire récurrent. Figure féminine associée à la sorcellerie et au crime, Médée occupe une place à part dans le panthéon des figures féminines vengeresses du fait de l'horreur particulièrement poussée de son crime final : l'infanticide. Or, de ce point de vue, la scène 2 de l'acte III semble constituer un moment décisif pour le personnage de Médée chez Sénèque. En effet, apprenant qu'elle est abandonnée par Jason, Médée sombre dans un désespoir profond, mêlé de colère, qui semble réveiller la magicienne qui sommeille en elle. Ainsi, l'incantation qu'elle prononce devant la nourrice constitue en cela une illustration des tensions à l'oeuvre dans l'intrigue et dont Médée constitue la cristallisation.
[...] En effet, les questions cèdent bientôt place à un tutoiement qui donne à entendre les conseils que Médée se donne à elle-même pour guider sa vengeance. De ce point de vue, l'incantation permet également de figurer le réveil d'une magicienne qui n'avait plus commis de crimes depuis ceux lui ayant permis d'obtenir l'amour de Jason. En d'autres termes, ce dialogue intérieur constitue un moment charnière de la tragédie car il réactive le fatum tragique, comme en attestent les nombreux verbes négatifs conjugués au futur : égorgerai, l'incendie montera, ferai un monceau de cendres (Médée, Sénèque, 1er siècle). [...]
[...] Cette modification participe donc à faire resurgir un moteur tragique que le spectateur pouvait penser enfoui : la rivalité entre Médée et Créon. Le projet de vengeance arrêté implique l'image du feu dont le champ lexical parcourt le monologue ( flammes, feu, incendie, cendres, fumée sombre , Médée, Sénèque, 1er siècle). Ce recours à l'incendie s'inscrit dans la thématique amoureuse et constitue la métaphore de la passion contrariée. Transition : Chez Médée, la vengeance est indissociable de son identité de magicienne, c'est d'ailleurs ce qui lui confère sa dimension inquiétante, car le spectateur sait qu'il ne s'agit pas de vaines paroles dues à la colère. [...]
[...] Enfin, du fait de la dimension incantatoire du texte, nous verrons comme la réflexion de Médée se mue en une parole poétique, servie notamment par une esthétique du macabre. Premier point : un monologue prophétique A. Un monologue adressé Le caractère prophétique du monologue de Médée s'illustre en partie dans son caractère adressé, comme en témoignent les nombreuses interrogations de la première partie de l'incantation, et notamment dos me viendra la vengeance? (Médée, Sénèque, 1er siècle), qui constitue à cet égard un questionnement programmatique de l'ensemble de la pièce. [...]
[...] C'est la raison pour laquelle ce monologue constitue pour le spectateur un moment-clef de la représentation car il permet une recontextualisation de l'identité de Médée par le biais de l'évocation détaillée de ses anciens crimes. Or cette évocation est caractérisée par un recours au champ lexical du meurtre avec des mentions telles que poignardé, mis en pièce, jeté à la mer, coupé en morceaux, précipité dans une chaudière bouillante, sang coulait (Médée, Sénèque, 1er siècle). Cette insistance sur la dislocation du corps donne à l'incantation un ton inquiétant qui préfigure les crimes à venir à la lumière de ceux déjà commis. [...]
[...] Conclusion Ainsi, dans cette incantation, la parole joue un rôle décisif du point de vue de la dynamique tragique : Elle participe à manifester le fatum tragique en énonçant au futur des événements tragiques à venir, tout en marquant une évolution notable en terme d'assombrissement. Mais son intérêt réside également dans ce qu'elle donne à voir le projet de vengeance en train de s'élaborer, et l'effet du tableau de la colère désespérée de Médée est d'autant plus fort que la langue employée et une langue poétique. [...]
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