Lacrimosa, Régis Jauffret, fantasme, échange épistolaire d’outre-tombe, lyrique, mythe de Pygmalion, mythe de Narcisse
Les auteurs produisent une représentation imaginaire d'un monde dont ils se font le peintre. On se propose ici d'étudier le roman de Régis Jauffret intitulé Lacrimosa, publié en 2008, mettant en scène un échange épistolaire d'outre-tombe entre un amant, présupposé être l'auteur même du roman, et la femme qu'il aimait qui s'est pendue. Le narrateur décrit idéalement cette femme, qu'il nomme Charlotte, et à qui il tient à rendre hommage. Quant à elle, elle lui répond de façon acerbe, ironique voire crue, et rejette le fait qu'il veuille écrire un roman à son propos. Ce roman épistolaire permet à l'auteur de dépeindre une femme morte, qu'il idéalise à partir des souvenirs qu'il a d'elle, il tord le réel et n'hésite pas à faire intervenir des éléments surnaturels, ou du moins absurdes, dans cette peinture de la femme aimée, qui n'est alors plus qu'une représentation imaginaire d'un objet d'amour
[...] Le roman peut ainsi être perçu comme l'acte excessif auquel aboutit le fantasme. Ainsi, la définition entière du fantasme est portée par cette œuvre : on y retrouve tous les constituants définitoires : Charlotte est pour le narrateur-auteur une véritable fixation mentale, qui le hante, mais qui ne s'efface jamais, elle est gravée en lui, son image est comme imprimée dans son œil ; elle est à la base d'une croyance irraisonnée, celle d'un personnage statufié qui pourtant répond, a des sentiments, et une réelle conversation ; mais elle est surtout un cheminement vers l'acte excessif que constitue ne lui-même ce roman, qui sert d'exutoire, de lieu où placer sa colère, où faire son deuil, où dire sa peine, véritable réceptacle d'émotions contraires. [...]
[...] Comme pour répondre aux lecteurs insatisfaits face à l'invraisemblance de la situation narrative, on trouve page 82 : Pourquoi ne pas écrire à une morte ? Une morte est un personnage comme un autre. En plus, elle ne risque pas d'ouvrir son museau. Non seulement je me tais, mais en plus tu parles à ma place en imitant ma voix. Tu as fait de moi une poupée dont tu t'es institué le ventriloque. ce qui souligne, de plus, et de façon explicite, le fait que Charlotte n'est plus qu'une enveloppe, une image sur laquelle un fantasme est projeté. [...]
[...] Si d'aventure j'étais convaincue d'une pareille inconvenance, on ne me recevrait plus dans aucun tombeau de la bonne société. À cause de toi, je devrais rester claquemurée dans le mien comme une pestiférée. Et pour tout dire, comme une morte. Cette phrase, à tonalité ironique, exprime toutefois bien la situation inouïe dans laquelle le lecteur est plongé, tout en soulignant l'étonnement de Charlotte elle-même, qui semble surprise d'être ainsi convoquée. Cependant, Charlotte peut ici s'exprimer, mais seulement à travers l'auteur. [...]
[...] Ainsi, les expressions des deux parties font montre de l'état intermédiaire de l'auteur, qui oscille entre réalité et fantasme en tant que fixation sur une idée, celle d'un dialogue d'outre-tombe. Enfin, l'emploi du vouvoiement semble être l'exacte traduction mentale à laquelle l'auteur procède pour évoquer Charlotte. En effet, les épistoliers sont amants, ils entretenaient avant la pendaison de Charlotte une relation intime, donc. C'est pourquoi l'emploi du vouvoiement est ici particulièrement intéressant, parce que dérangeant. Charlotte l'exprime d'ailleurs elle-même à la page 29 lorsqu'elle dit Il paraît aussi que maintenant tu me vouvoies comme une passante. [...]
[...] Pour étayer cette question, on axera notre propos selon notre définition du fantasme, en tant que fixation mentale ou croyance irraisonnée pouvant conduire à des actes excessifs. En effet, nous verrons tout d'abord que l'écriture même du fantasme constitue une forme de fixation mentale de la représentation imaginaire de Charlotte, avant de nous intéresser au fait que cette fixation prend cependant vie et qu'elle s'insère dans un cadre réel ponctué d'éléments irréels. Enfin, nous étudierons le fait que les fonctions de culpabilisation et de réparation auxquelles procède l'auteur à travers ce roman font de ce texte un acte excessif en soi. [...]
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