Les pièces des tragiques grecs, bien que composées il y a plus de 2500 ans, continuent d'être régulièrement retraduites et mises en scènes à notre époque. Cette permanence de la tragédie grecque s'explique essentiellement par deux raisons : le besoin d'un retour aux sources souvent éprouvé par nos sociétés modernes, ainsi que l'actualité toujours renouvelée du conflit tragique.
Pourtant, nous n'avons de ces pièces qu'une connaissance lacunaire. Les pièces de seulement trois tragiques - Eschyle, Sophocle et Euripide - nous sont parvenues, une seule trilogie - L'Orestie - a été conservée, et elle a été amputée de son drame satyrique. De plus, le texte est souvent mutilé, et nous ne savons que très peu de choses des parties chantées et dansées. C'est une des raisons pour lesquelles le théâtre grec, qui était pourtant une référence du monde du théâtre depuis le XVIIème siècle, n'a longtemps été envisagé que comme texte, et qu'il faudra attendre le milieu du XIXè s pour que des metteurs en scène s'aventurent à représenter ces pièces. Dès lors, leur succès n'a pas cessé et régulièrement des metteurs en scène prestigieux proposent de nouvelles représentations, exprimant leur propre lecture de ces pièces.
C'est le cas d'Ariane Mnouchkine, qui avec la troupe du Théâtre du Soleil (fondée en 1964) à la Cartoucherie, a monté de 1990 à 1991 les quatre pièces qui composent son ensemble des Atrides : Iphigénie à Aulis d'Euripide en 1990, puis trois pièces d'Eschyle, Agamemnon et Les Choéphores en 1991, et enfin Les Euménides en 1992. Cette nouvelle mise en scène a été saluée par le public comme par la critique, et elle a marqué l'histoire de la représentation de la tragédie grecque, tant par le retour aux sources du théâtre grec, que par la grande audace de certains choix (...)
[...] Elle a donc privilégié l'intelligibilité au détriment de l'exactitude historique. De plus, dans le théâtre grec, cette dualité des textes entre chœur et personnage était marquée par une autre dualité: celle de l'espace scénique, divisé entre l'orchestra réservée au chœur, et le proskénion, longue estrade sur laquelle évoluaient les acteurs. Or, chez Ariane Mnouchkine, chœur et personnages sont mêlés dans le même espace, et le chœur intervient même parfois dans l'action, par des gestes mineurs (par exemple dans Iphigénie, l'une des choreutes prend le petit Oreste dans ses bras). [...]
[...] En effet, le théâtre kathakali indien est une synthèse de quatre formes d'expression (danse, musique, mime et poésie) qui sont également celles du théâtre grec, et qui en font une sorte de théâtre total Par ailleurs, le choix d'un univers totalement étranger à l'univers originel de ce théâtre souligne le fait que les thèmes tragiques développés dans ces pièces sont des thèmes intemporels et universels, valables en Grèce antique comme en Inde et même encore de nos jours. On sait en effet que l'ambition d'Ariane Mnouchkine est d'éclairer l'histoire contemporaine par les moyens du théâtre. On peut aussi voir dans ce choix de l'Inde une ouverture à d'autres cultures à l'image du caractère cosmopolite de la troupe du Théâtre du Soleil fondé par Ariane Mnouchkine. Conclusion: Avec sa mise en scène des Atrides, Ariane Mnouchkine propose donc une nouvelle manière d'aborder les tragiques grecs, entre respect du texte et innovations modernes. [...]
[...] La mise en scène d'Ariane Mnouchkine est donc bel et bien marquée par cette volonté d'un retour aux sources. Pourtant, ces représentations n'ont évidemment rien à voir avec les représentations antiques, et la mise en scène traduit une relecture moderne et personnelle de la pièce. II-Une relecture de la pièce Loin d'être une reconstitution servile, la mise en scène d'Ariane Mnouchkine témoigne d'une vraie audace de mise en scène, par des choix qui pourraient paraître discutables, mais qui sont toujours assumés. [...]
[...] I-Le retour aux sources du théâtre grec Loin des mises en scène du XIXè siècle ou de celles de l'Odéon au début du XXè siècle qui visaient à rendre le théâtre grec classique Mnouchkine choisit dans Les Atrides le retour aux sources du théâtre grec, quitte à déconcerter le spectateur. 1)Le parti-pris de la fidélité aux textes Ariane Mnouchkine a d'abord fait le choix de la fidélité aux textes grecs. Pour cela, elle a effectué elle-même une nouvelle traduction des pièces, notamment de l'Agamemnon d'Eschyle. Aux antipodes de la traduction d'un Leconte de Lisle qui proposait une interprétation classique et explicitée du texte, Mnouchkine s'appuie sur une traduction en mot-à-mot, qui respecte le texte d'Eschyle presque à la lettre et en restitue bien l'impression d'étrangeté. [...]
[...] Les chœurs des Atrides sont extrêmement mis en valeur, d'abord par le choix des couleurs vives des costumes, et par leur forte présence scénique: entre onze et quinze choreutes sont en permanence sur scène. Dans la tragédie grecque, le groupe du chœur forme un groupe indistinct, et c'est la même impression qui se dégage de la mise en scène d'Ariane Mnouchkine. Le groupe est unifié par les costumes et les personnages, jusqu'à gommer toute distinction de sexe des interprètes. Ainsi, le chœur des jeunes filles dans Iphigénie est en fait composé majoritairement d'hommes, et plusieurs femmes sont présentes dans le chœur des vieillards d'Agamemnon. [...]
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