Le malheur de l'enfant sourd n'est pas tant sa surdité elle-même, mais le fait qu'elle le rende totalement dépendant des choix linguistiques que l'on fait pour lui. Or, à ce moment de l'apprentissage de la langue, toute erreur a des conséquences irrévocables. Bien sûr, les parents cherchent la meilleure solution pour leur enfant et souhaitent donc qu'on les aide dans ce choix. Mais comment les conseiller, comment répondre à une question qui ne trouvera de réponse satisfaisante qu'à travers les dires de l'enfant ? Cette réponse n'intervient donc que bien après le choix et est conditionné par celui-ci. Ce paradoxe explique le perpétuel questionnement des parents.
La plus grande partie des travaux rouennais sur le choix linguistique parental a été effectuée à partir d'entretiens recueillis à une période postérieure au choix. L'intérêt de la présente étude réside dans le témoignage obtenu au stade précoce de la construction du choix langagier. Notre corpus est recueilli au moment où la surdité d'une petite fille vient d'être confirmée par les médecins. Encore sous le choc, les parents sont confrontés à la question du choix linguistique. Tout se joue au présent. Le second intérêt particulier de ce travail est que nous avons pu recueillir le témoignage paternel, or celui-ci figure dans très peu de travaux.
Les données recueillies nous permettront d'éclaircir, à partir de la mise en mots, quelles seront les motivations des parents quant au choix linguistique à venir. Quels sont les critères qui entrent en jeu lorsqu'on est confronté à l'annonce d'une surdité qui vient chambouler tous les espoirs, toutes les attentes ? Quel sera le poids des stéréotypes et des représentations que notre société d'entendants véhicule depuis toujours? Quel est le rôle des différents protagonistes intervenants (médecins, éducateurs…) ?
Les parents prennent très vite conscience de l'importance du choix de la langue. Mais cela peut leur faire oublier que ce choix ne concerne pas que la langue. Celui-ci déterminera directement le milieu éducatif et donc les acquis culturels qui viendront compléter ceux du milieu socio-familial.
Le choix de la langue ne se pose pas lorsqu'il s'agit d'un enfant entendant qui apprend sa langue maternelle. Lorsqu'il s'agit d'enfants sourds – quelle que soit la langue pour laquelle on a opté, langue des parents entendants ou langue des signes – l'apport de la vie ambiante, les acquisitions spontanées « par la force des choses » et des situations, sont considérablement réduits, même s'ils ne sont pas nuls. L'enfant sourd apprend surtout ce qu'on a voulu lui enseigner. Et, la plupart du temps, dans des situations crées, suscitées par les autres.
La phase initiale de l'apprentissage du langage est donc primordiale chez l'enfant sourd. Un minimum de communication est nécessaire le plus rapidement possible. Et, l'enfant sourd assuré, rassuré par une réalité qu'il peut saisir, montre alors les possibilités de fantaisies, de rêve, de création, d'invention qu'il porte en lui.
[...] Le fait d'entendre parler quelqu'un ne nous renseigne-t-il pas sur son statut social, ses origines régionales, sur des valeurs symboliques et culturelles ? Nous aborderons donc des questions touchant aux acquisitions du langage par les enfants dans leur vie quotidienne, avant et hors des institutions éducatives. Je mets volontairement le terme acquisition au pluriel pour insister sur le fait que le processus d'acquisition se décline en de multiples acquisitions (social, culturel, symbolique ) Avant de continuer une recherche sur la socialisation langagière au contact de la surdité, nous allons tracer les grandes lignes autour des notions d'acquisition, de socialisation langagière. [...]
[...] Les parents disent ouvertement que la surdité de leur fille est un problème. Bien qu'après avoir posé directement la question si c'est un problème pour eux, la mère a répondu négativement (Carole 62) et le père n'a pas nié mais a diminué le poids de ce problème : Alain 72 : C'est un problème sans être un problème / pour elle c'est plus dur / elle n'entend pas comme comme tout le monde, mais c'est pas un problème, gros gros problème / elle n'est que sourde, heureusement / La difficulté masquée Dans le discours des enquêtés nous remarquons que le dire difficile est parfois masqué par un dire apparemment simple, aisé, grâce au processus d'euphémisation. [...]
[...] Poirot A Socialisation langagière et surdité, Mémoire de maîtrise de Sciences du Langage, Université de Rouen p. Poirot A Construction identitaire. Le cas des enfants sourds de parents sourds, Rapport-Projet DEA, UMR 6065 CNRS DYALANG, Université de Rouen p. Poizat M La voix sourde. La société face à la surdité, Métaillié, coll. Sciences Humaines, Paris p. Riebert G Le diagnostique: un moment décisif dans Communiquer 78, pp 12-13. Rouzic M L'annonce médicale de la surdité: La relation parents/médecins à travers le récit des parents, Rapport projet DEA, UPRES-A 6065 CNRS DYLANG, Université de Rouen p. [...]
[...] Ils semblent malgré tout avoir trouvé une sorte de réconfort au travers de leur enfant et ne considère plus la surdité de celle-ci comme un problème insurmontable. Il faut seulement espérer que ce bien être retrouvé ne les maintiendra pas dans la passivité et leur permettra d'appréhender plus sereinement le problème du choix linguistique qui ne manquera pas de se reposer à eux à plus ou moins long terme. De ses tours de parole se dégage une volonté manifeste de bien vivre dans son choix. [...]
[...] Mais la langue maternelle des parents ne peut être appréhendée comme telle pour l'enfant en raison de différence lors de l'apprentissage. En effet, la langue orale ne sera pas immédiatement transmissible par les parents car l'enfant ne l'entend pas. Ainsi, avant de pouvoir s'engager dans des échanges langagiers avec ses parents, il lui faudra recourir aux techniques rééducatives qui sont associées au choix de cette langue. Mais l'enfant, évoluera-t-il pleinement en sujet parlant ? Trouvera-t-il sa place de personne langagière à part entière? Le choix de ne pas retenir la L.S.F. [...]
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