« De tous les jeunes poètes venus à la Librairie de la Porte Latine vers 1946-1947, le plus remarquable s'avère être François Dufrêne, qui, après quelques essais inférieurs, devait nous proposer une succession d'œuvres maîtresses, des poèmes d'une extraordinaire richesse sonore, dont quelques-unes sont, à ce jour, parmi les plus beaux accomplissements de notre mouvement. »
Aux yeux d'Isidore Isou, fondateur du mouvement lettriste, son jeune disciple François Dufrêne apparaît comme le poète le plus déterminé et le plus doué de ce que Bernard Girard nomme « la première génération lettriste ».
[...] François Dufrêne répond clairement Oui, le dessous du sens comme les dessous d'affiches. En d'autres termes, le T.P.L., en rapprochant un certain nombre de signifiants et en composant une mélodie des mots, produit finalement un discours, un sens à la fois linguistique, mais aussi un sens par le son : la rime, la lettre-carrefour, certaines syllabes, deviennent des signifiés, comme nous l'avons vu par exemple pour le vocable éGLOG qui rappelle le bruit d'un écoulement ou d'une déglutition. François Dufrêne ne fait donc pas seulement de la musique avec les mots dans le T.P.L., il dévoile plutôt la musique même des mots : utiliser le signifiant dans sa plénitude est donc indispensable, car le public l'écoute en lui-même et pour lui-même, expérience qu'il ne connait pas dans son quotidien, les mots étant toujours rattachés à un ensemble syntaxique. [...]
[...] Dans cette lutte entre le son et le sens, entre la musicalité et le signifié du signifiant, le mot, exposé dans sa nudité, dans son état primitif, est ainsi à la fois célébré et enterré par la virtuosité de François Dufrêne. BIBLIOGRAPHIE Textes de François Dufrêne : François Dufrêne, Archi-Made, Ecole nationale supérieure des beaux-arts, Paris François Dufrêne, Tombeau de Pierre Larousse, les Presses du Réel François Dufrêne, Deux mots d'explication en 24x17 in Tombeau de Pierre Larousse, les Presses du Réel François Dufrêne, l'après-midi d'un phonème ibid. François Dufrêne, Fausse route ibid. François Dufrêne, D'un pré-lettrisme à l'ultra-lettrisme ibid. [...]
[...] Quand les mots restent des unités sémantiques Mais plus encore que nous donner à entendre ces mots, le poète les mélange, les associe, voire les fond littéralement les uns dans les autres, à travers un découpage original. En enchaînant ainsi des mots autonomes ces derniers existent toujours, et résonnent toujours comme tels : ainsi, François Dufrêne, lors de la récitation de l'Ouverture, ne lit pas pizzaPI nakoTEK comme il l'a pourtant écrit, mais pizza pinacothèque reconnaissant ainsi, malgré leur nouvelle apparence, les mots dans leur ensemble. [...]
[...] Il s'agit donc de comprendre comment Le Tombeau de Pierre Larousse écrit dans une perspective de subversion des mots du dictionnaire à des fins essentiellement sonores, reste une œuvre sémantique, amplique oscillant entre le chant onomatopéique et la persistance d'un logos, entres la musique et la littérature. La musique des mots comme principe fondateur du Tombeau de Pierre Larousse Le T.P.L., ou la transformation de la langue française en musique Si l'on considère que le mouvement lettriste a agi sur la poésie de François Dufrêne comme un véritable catalyseur qui permit au poète de découvrir sa vocation et de s'initier à une première approche de l'étude des sons, ce dernier a pourtant poussé à l'extrême les théories lettristes d'Isidore Isou, en abandonnant non seulement le mot mais aussi la lettre elle-même, refusant de se limiter au système phonologique d'une langue donnée, et choisissant de faire sortir son poème hors de la page Le Tombeau de Pierre Larousse est certes un travail de laboratoire sur le mot, disséqué, décortiqué, mais ce travail sert avant tout des fins essentiellement phonétiques. [...]
[...] Le Tombeau de Pierre Larousse est donc une œuvre musicale, ou plutôt un chant onomatopéique, et nous pouvons citer à titre d'exemple le dernier mot (qui est en même temps le dernier son) du texte en T : TILT ! Comme dans une suite pour orchestre, François Dufrêne donne à entendre une Ouverture à son lecteur, elle-même suivie de seize mouvements dont la structure interne de chacun est assurée par l'emploi dominant d'une consonne particulièrement sonore, comme les consonnes dentales, D et T les vélaires K et G les bilabiales occlusives B et P les bilabiales nasales M et N les fricatives labiodentales F et V ou encore les fricatives alvéolaires S et Z Comme nous pouvons le constater, la structure dominante, à l'intérieur de laquelle s'inscrit une structure vocalique, plus mélodique, est donc essentiellement consonantique, extrêmement phonique et rythmique. [...]
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