Indicible, attentats du Onze septembre 2001, approche sémantique des témoins, sémème innommable, sémème de l’indescriptible, sémème de l’inimaginable
Dans son ouvrage Les Récits Du Génocide - Sémiotique De L'indicible, Michael Rinn entreprend l'étude du sème « indicible » lors d'événements qui s'y prêtent, c'est-à-dire lors d'événements inhabituels, exceptionnels, et intenses dans l'émotion qu'ils suscitent. Tentons une approche similaire dans l'étude de ce qui n'est pas dicible, mais en déplaçant l'objet d'étude vers les attentats du Onze Septembre 2001.
[...] On assiste au phénomène de la techné c'est-à-dire l'indicible comme art du langage : me plongea dans l'impensable (Christian) Le témoin fait plonger le lecteur dans une réalité nouvelle, aux abords du non pensable, du non exprimable, du non-dicible. La scène n'est donc pas banalisée, le lecteur ne se sent pas indifférent, ne prend pas de distance. Emu, il s'identifie pleinement, reconnaissant les repères donnés par la culture (les moyens de transport, les tours, les bureaux, les avions, l'école), autant de signes propres au monde humain, commun à tous les hommes, à caractère anthropomorphique davantage que conventionnels. [...]
[...] Alors que les victimes éprouvent des difficultés à dire ce qu'elles ont vu, elles ont recours à des sèmes qui touchent de près à la notion de ce qui ne peut être nommé : machin chose truc ou encore l'idée du jamais vu : la chose la plus horrible (Delphine Cottin) un truc qui entre dans la tour (Delphine Cottin) il avait l'air de (Flore) comme je n'en avais jamais vue (Sophie) C'est la panique. Je n'ai jamais vu ça. (Aurélia) ça a recommencé (Aurélia) quand ce genre de chose arrive (Flore) d'un genre un peu particulier (Christian) De la même façon, les témoins ont recours au champ de l'indescriptible. La formule que se passe-t-il ? évoque en général une situation inconnue, qu'on ne parvient à comprendre: ce qui vient de se passer (Delphine Selles) ; ce qui se passait (Sophie). [...]
[...] On notera que certains ont des formules qui divergent, mais de manière peu significative: presque tout le monde (D.S.), ces personnes tous (Laetitia Longufosse), chacun une foule (Christian), des hordes de gens ou plus personnelles, qui inclue les lecteurs : on a tous on écoute les informations et on est très inquiets De manière générale, cette population humaine désigne ceux qui fuient, ceux qui ont de la famille dans les tours, ceux qui pleurent, ceux qui crient, ceux qui assistent à l'attentat, ceux qui se posent des questions, ceux qui sont choqués. En réalité, chacune de ces personnes pourrait être le lecteur en de pareilles circonstances, d'où la réussite de l'analyse cognitive qui tend à faire partager un sentiment particulier, comme le préconisait Wittgenstein : comment faire partager la douleur ? trop spectaculaire pour que je la renvoie au réel. (Térérama, septembre 2002) J'avais l'impression de regarder une série B des années 60 ! Luc, Le Figaro du 12 Septembre 2001 C'était irréel ! [...]
[...] Lorsqu'il arrive un événement anormal, inattendu, il est vrai que les êtres ont tendance à chercher l'autre, à vouloir que tous partagent et sachent ce qu'ils ont vécu. De la même manière, Delphine Cottin évoque tous les gens Delphine Selles, Sophie D., Vincent Giavelli, et Luc font allusion au reste du monde avec les gens ou des gens formule très abstraite. L'expression tout le monde est reprise deux fois par Delphine Selles, par Sophie, par David, deux fois par Hélène, et deux fois par Luc, ce qui représente quasiment la totalité des témoignages. [...]
[...] La difficulté de se figurer la réalité d'images qu'on n'a vues qu'en fabriqués, impalpables (à la télévision par exemple) est omniprésente : J'ai l'impression de voir un reportage (Laetitia) l'impression de regarder une série B (Luc) Des sèmes comme étrange bizarre surréaliste hallucinant participent pleinement de cette cassure abstraite entre imaginé rêvé ou vécu réel et expérimenté : c'était étrange (Flore) c'est affreux, hallucinant (Luc) Tout semble surréaliste (Laetitia) bizarrement (Hélène) La sensation de non-appartenance au réel flirte avec la sensation d'incrédibilité, la notion d'incroyable : c'était irréel (Hélène) accentuait l'irréalité de la scène (Christian) je n'arrivais pas à dissiper l'impression d'irréel (Christian) c'était incroyable (Luc) je n'arrivais pas à y croire (Christian) Si l'on croit à ce que l'on entend ou ce que l'on voit, c'est uniquement sous la forme d'une farce, d'une erreur, d'un mensonge qui s'éloigne du sérieux de la situation. C'est la réalité du mensonge que l'on adopte, et non celle de la vérité. [...]
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