C'est le XVIIe siècle qui fixera notre langue dans ses grandes lignes : la langue du XVIe siècle connaît encore une évolution accélérée, qui se manifeste non seulement au niveau syntaxique et lexical, mais aussi au niveau des usages et de la conscience linguistique. Ce français se situe de plus dans une période au cours de laquelle il doit montrer sa spécificité, par rapport au latin et à d'autres langues (l'italien de la cour et les langues régionales) avec lesquels il est en concurrence, et suit près de deux cents ans de « moyen français » qui se caractérise par un écart croissant entre la graphie et la prononciation du fait d'un mouvement de relatinisation aux formes multiples. Aussi décide-t-on, au XVIe siècle, de ne plus accepter les nombreuses graphies possibles d'un même mot, ce qui fait naître une querelle entre conservateurs et réformateurs qui ont des visions opposées de la manière de fixer leur langue. Les premiers souhaitent que le latin serve de référence pour cette entreprise, les seconds prônent l'indépendance totale du français par rapport à toutes les autres langues. Toutefois, l'évolution du français ne se limite pas à quelques hommes : elle est un phénomène auquel participe un ensemble beaucoup plus vaste et plus complexe.
Le choix principal qu'il faut faire est pensé par rapport au latin : tous veulent une langue française illustre ; ce sont les moyens d'y parvenir qui demeurent difficultueux et sources de conflits. Or, s'interroger sur la place du latin dans la culture et dans l'histoire du français au XVIe siècle revient avant tout à distinguer et à analyser ces divers moyens qui ont pour objectif de définir la dignité du français par rapport à celle du latin. Trois possibilités seulement s'ouvrent aux yeux des contemporains de Ronsard et de Montaigne : abandonner radicalement le latin, inaugurer une nouvelle période de retour pondéré vers la langue de Cicéron ou faire le choix de privilégier les deux à la fois ou, tout au moins, tantôt l'une, tantôt l'autre. En d'autres termes : remplacer, imiter ou alterner.
[...] Si on rejette la langue latine comme langue du discours oral et écrit, on ne rejette pas pour autant la culture latine, la latinité qu'évoque Peletier. Bien au contraire, parallèlement au mouvement que nous venons de décrire, il en existe un autre, d'ampleur tout aussi remarquable, qui éprouve une forte attirance envers le latin En effet, tant les partisans du remplacement du latin que leurs opposants partent d'un même constat : la langue française telle qu'elle existe au début du XVIe siècle est pauvre. [...]
[...] On montre alors qu'il n'est aucun appauvrissement culturel dans l'utilisation écrite du français et qu'il lui appartient tout à fait d'être à l'égal du latin, dans tous les domaines. Tel est ce dont beaucoup d'Arts poétiques veulent convaincre, quand ils se prononcent sur la langue à illustrer et les procédés du beau, comme celui de Peletier du Mans qui, au chapitre VII, va jusqu'à affirmer que le poète doit utiliser uniquement la langue française et que cette règle est la 2/9 condition sine qua non de l'excellence. [...]
[...] En effet, le latin constitue, pour beaucoup d'hommes cultivés, l'une des deux langues maîtrisées couramment, avec le français. Si celle-ci reste la langue maternelle, celle-là n'en est pas moins pratiquée, soit par la lecture, soit par l'écriture. Même Ronsard, qui veut n'écrire qu'en français, laisse commencer son épopée par des textes rédigés en latin, ce qui n'étonne pas puisqu'il cherche à ressusciter le genre le plus illustre et le plus grandiose de l'Antiquité. En effet, Les quatre premiers livres de la Franciade sont précédés de quelques poèmes en latins : Græco igni Troiæ populandaque mœnia ferro Fatidico cæcus dum canit ore senex (dédicace ad Carolum Regem : Charles IX). [...]
[...] Évite comme un écueil le mot rare et qu'on n'a pas l'habitude d'entendre. 8/9 montre qu'il ne faut pas abandonner la culture antique même s'il n'en faut parler la langue, que la latinité doit rester la référence absolue et incontestable. Même Ronsard qui, comme nous l'avons dit, se refuse à écrire en latin, n'hésite pas à puiser dans la mythologie antique et dans les œuvres de ses prédécesseurs grecs ou latins pour augmenter en dignité ses propres poèmes. Le seul nom de Cassandre est évocateur, et rappelle à tous la fille de Priam, roi de Troie : ainsi trouve-t-on des poèmes qui rattachent la personne de Cassandre Salviati, aimée de Ronsard, à la figure homérique de la princesse troyenne. [...]
[...] [ ] J'entens et je veulx que tu aprenes les langues parfaictement, premièrement la Grecque, comme le veult Quintilian ; secondement la Latine, [ et que tu formes ton stille, quant à la Grecque, à l'imitation de Platon, quant à la Latine, de Cicéron. Par ailleurs, l'enseignement en France se fait toujours presque exclusivement en latin : on apprend la lecture et les règles élémentaires du français à partir de grammaires en latin (notamment celles de Donat et d'Alexandre de Villedieu, que Rabelais ridiculise). De plus, l'école fait apprendre à analyser et à commenter les textes à partir des auteurs latins uniquement. [...]
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