Parce que le langage est le principal moyen d'expression de l'homme, il peut être comme le prophétisait Ésope, « la pire et la meilleure des choses ».
Le langage, parce qu'il révèle la beauté mais aussi toute la cruauté de l'homme, est un instrument risqué et ambigu, capable de servir toutes les causes. Il adoucit ou affaiblit, fait l'éloge ou détruit.
Tantôt allié, tantôt ennemi, le langage s'éprend et se moque tour à tour des hommes qui l'utilisent, exerçant là une sorte de sélection.
Ainsi, lorsqu'en 1647, Claude Vaugelas publiait ses Remarques sur la langue françoise, il dessinait là le premier fossé entre la langue du peuple et celle de « l'élite », à l'époque, la cour.
Il semble que ce fossé ne se soit jamais résorbé. Bien au contraire.
Jusqu'au 19e siècle, la langue de la bourgeoisie s'est opposée aux divers patois français, creusant toujours un peu plus l'inégalité langagière.
Au 20e siècle, on croit en vain sous le poids de certaines convenances, à un unilinguisme.
Mais le langage semble être devenu le faire valoir d'une appartenance morale, sociale, économique et culturelle.
Entité mythifiée d'un pouvoir divin qui permet de décider ce qui sera à même d'exister par le simple fait de nommer, on dit et on se dit grâce à lui.
On parle comme un jeune, comme un bourgeois, comme un professeur, comme un médecin, comme une personne âgée, comme un politicien…
Sorte de révélateur de l'être, notre langage dit qui l'on est, et c'est pour mesurer cette impossible unicité de l'être humain qu'en France se manifeste une réelle tendance à la superposition langagière, les patois, les jargons, les dialectes confirmant dans la langue française cette sorte de dichotomie qui se lit dans les « niveaux de langue », et fait s'opposer langue populaire, argotique, familière… à une langue acceptable, appréciable et pratiquée par tous.
Cette dernière, fondée sur le consensus social commun qu'est la norme, se présente comme langue du « bon usage ». Instaurant des codes, des préférences, voir des exigences, la langue commune, grâce à la norme, devient celle à respecter.
Parce qu'il est admis que c'est via la langue que la pensée s'exprime, il va de soi que la pensée doit trouver les moyens de son expression au sein de cette langue choisie. Et bien que notre époque soit dépeinte comme l'apothéose du libre agir, du libre parler, la langue va exercer sur la pensée une forme d'influence, puisqu'elle va contrôler ce qui se dit ou non.
Esclave improvisée, la libre pensée va devenir pensée unique.
Et c'est dans cette conjoncture de prédominance de la langue sur la pensée que va se développer le phénomène de « politiquement correct ».
Adoptant une politique linguistique déconcertante, ce nouveau fait va renverser les valeurs admises : la langue ne va plus seulement servir à informer, à communiquer. Sous son joug, la langue va essentiellement être liée à une unique fonction, celle de la manipulation.
Semblable à certains actes performatifs comme la prière ou la confession, et proche de l'atmosphère secrète des paroles prophétiques, le politiquement correct va lui aussi illustrer le mythe de la « langue-pouvoir ».
Lien ancestral et captivant, c'est confronté à ce binôme que nous allons analyser le politiquement correct en tant que procédé de manipulation de la langue.
L'enrôlant dans une politique qui n'admettra pas que les mots disent qui ils sont ni ce qu'ils sont, ce fait linguistique mystérieux et complexe, va intégrer la société en tant que complément du langage courant, et en en modifiant le lexique, va y modifier les esprits. Pensée unique et politiquement correct vont devenir les stigmates d'un même syndrome.
Se voulant garant d'une certaine plénitude morale, le politiquement correct va très rapidement s'ancrer dans une dynamique de reformulation permettant d'éviter les sujets sensibles ou polémiques, et imposer par ce biais, son lien au vocabulaire tabou.
Fondé sur une idéologie altruiste, ce courant use de la préciosité linguistique pour garantir un respect commun entre les individus.
Répondant à l'utopie d'une langue épurée de toute cruauté, et parce que chaque société a ses propres interdits, il enseigne l'art et la manière de parler sans dire.
[...] Est-il plus cohérent de qualifier le politiquement correct de dialecte ou de discours ? C'est afin de compléter la carte d'identité du politiquement correct que nous allons nous pencher sur ces termes et sur d'autres, afin de comprendre le lien existant avec notre polysème. Une grande épopée linguistique Du langage à la langue, en passant par le discours, sur les traces du politiquement correct Le langage désigne tout système de communication, avec en son sein la faculté propre à l'homme de parler et d'être compris : Ce n'est pas le langage parlé qui est naturel à l'homme, mais la faculté de constituer une langue, c'est à dire un système de signes distincts correspondants à des idées distinctes Dès lors, la langue est partie intégrante du langage et c'est d'ailleurs ce qui contribue à la délicate distinction entre ces deux termes : le langage est défini comme la fonction d'expression de la pensée et de communication entres les hommes et il fait écho à la langue perçue comme un système d'expression du mental et de communication, commun à un groupe social Ici, le langage est une fonction virtuelle se réalisant sous la forme d'une langue, qui est elle-même un procédé n'existant que dans le langage. [...]
[...] Un choix stratégique Concernant le choix des synonymes, le substantif bienséance (proposé par ailleurs sous forme adjectivale à l'article correct bénéficie d'une définition assez travaillée puisqu'elle lie en quelque sorte les définitions précédentes présentées par Hachette et Le Petit Larousse : Caractère de ce qui convient, va bien ; convenance. Par ext. Conduite sociale en accord avec tous les usages, respect de certaines formes ; correction, décence, savoir-vivre En revanche, si le terme de pensée unique est clairement évoqué par les connotations des diverses définitions de politiquement et de correct Le Petit Robert n'a pas choisi de lui consacrer un article. [...]
[...] L'ampleur inattendue de ce phénomène tend à le promouvoir au rang de mythe politique ou idéologique. Le politiquement correct engagé dans une croisade linguistique vise l'ensemble des sociétés occidentales et peut-être même plus, à en croire l'aspect un tant soit peu prophétique d'Umberto Eco qui écrivait il y 15 ans de cela : Le monde vit pour aboutir à une émission de télé. Et les médias deviennent la langue du monde L'usage du politiquement correct dans les médias est donc un phénomène qui n'a cessé de croître comme le prouvent les relevés de S. [...]
[...] Sorte d'embrigadement, formatage de l'esprit, le politiquement correct oblige les enfants à croire en un monde parfait. Dès lors, lorsqu'ils se retrouvent confrontés à la réalité, les enfants du politiquement correct s'étonnent de ce qu'ils ne connaissent pas, et, devenus jeunes adultes, s'insurgent contre une langue immodérée qui ne ménage personne, qui n'a de considération pour rien. Enfants de Candide et de Pollyana, la boucle est bouclée, et les jeunes recrues ne parviennent que difficilement à s'échapper du joug parental, assurant ainsi au politiquement correct de beaux jours devant lui ou tout du moins une certaine cohérence, une utilité reconnue de droit public. [...]
[...] Blanche-Neige sans les sept nains : Index des contes et de la littérature de jeunesse La culture politiquement correcte . culture infantile, processus d'édulcoration du réel, culte de la candeur, de la vie en rose Et pourtant. Il est assez étrange que l'univers politiquement correct pour lequel on se plaît à employer autant de termes propres au domaine de l'enfance soit justement si peu apte à s'entendre avec ce dernier. En effet, ce n'est pas un hasard si nous avons choisi de nous pencher en particulier sur le paradoxe qui existe entre le monde merveilleux pressenti et rêvé par le politiquement correct, et celui que nous offre la lecture des contes de fées ou des romans pour enfants. [...]
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