Le terme de « manipulation » est aujourd'hui fréquemment employé et dans des cas très divers. Cependant, on lui alloue généralement un caractère négatif qui n'apparaît pas dans sa définition même. En effet, nous pouvons considérer que le fait de manipuler quelqu'un revient simplement à lui faire faire quelque chose, ceci n'allant pas obligatoirement à son encontre. C'est donc en nous appuyant sur cette définition très générale que nous tenterons d'examiner le phénomène de la manipulation au niveau de la langue.
Nous verrons qu'effectivement le processus linguistique dans sa globalité peut correspondre à une manipulation. Le locuteur pourra ensuite tenter d'effectuer une manipulation plus ou moins importante sur son interlocuteur.
Nous chercherons donc les différents moyens permettant à un locuteur de « toucher » son auditoire de façon à essayer de lui faire avoir une certaine réaction. Puis nous tenterons de prouver que quels que soient les énoncés prononcés, il sera toujours possible d'influencer l'interprétation qu'en fera l'interlocuteur afin de cerner ses réactions. La manipulation par la langue s'avèrera donc toujours plus ou moins possible.
[...] Pour ce faire, il devrait coder ce sens qui serait lui-même décodé ensuite par le récepteur. Ce schéma n'est pourtant pas valide, notamment puisque la notion de codage ne peut pas être envisageable[3]. Puisque la parole ne consiste pas à transmettre un message, nous pouvons nous appuyer sur la thèse de la manipulation qui privilégie l'hypothèse selon laquelle celui qui parle fait construire un certain sens à l'autre. La parole, n'étant donc pas le reflet d'un schéma mécanique, apparaît plutôt comme un art : L'art de la parole, tel qu'il se dessine dans ces réflexions, est bien un art et non pas une technique (en accord avec l'expérience que nous avons tous vécu ) : dans le cas de l'enseignement, l'orateur efficace doit avoir eu l'intuition de ce qui aura amené ses interlocuteurs à construire les sens leur permettant d'accéder aux concepts que lui, l'enseignant, voulait qu'ils construisissent. [...]
[...] Nous pouvons observer une stratégie similaire à travers le slogan du journal Le Parisien : Le Parisien, il vaut mieux l'avoir en journal Nous voyons immédiatement que l'énoncé ne peut pas se comprendre uniquement grâce aux éléments linguistiques qui le composent. Sa compréhension implique une réflexion qui ira au-delà de ses termes, s'appuyant sur une certaine idéologie. Le mot mieux implique une comparaison entre deux entités, toutes deux caractérisées par l'expression Le Parisien Il faut donc confronter deux Parisiens : le journal et l'habitant. [...]
[...] Cependant, l'énoncé de quelqu'un ne provoque pas la réaction de quelqu'un d'autre de façon matérielle. Nous pouvons citer Pierre-Yves Raccah pour développer cette hypothèse : ( ) lorsqu'un observateur considère qu'une action est conséquence d'un énoncé, il pourrait supposer que c'est la matérialité de l'énoncé qui est responsable de l'événement que constitue l'accomplissement de l'action ( ).Un observateur occidental contemporain jugera inacceptable une telle hypothèse ( Le fait qu'une telle position aille de soi pour la plupart d'entre nous n'en ôte pas son caractère hypothétique : il s'agit d'une hypothèse caractéristique de notre rationalité (occidentale contemporaine), et qui pourrait être explicitée de la manière suivante : H1 L'effet sémantique d'un énoncé n'est pas dû à sa matérialité Il ne s'agit pas de prétendre que les ondes sonores n'ont pas d'effet. [...]
[...] cit. Le spot publicitaire de la marque qui accompagnait ce slogan fonctionnait globalement sur une stratégie de différenciation en se plaçant à un niveau paradoxal. Pour une analyse plus précise de cette publicité, se référer à E. Bertin, Des outils pour la stratégie Solutions sémiotiques, N. Couégnas, E. Bertin, ed. Lambert-Lucas, Limoges pp.22-23. [...]
[...] Cet art de la parole permettant de manipuler un auditoire est utilisé dans de nombreux domaines (éducatif, politique, etc.). Mais nous nous intéresserons plutôt à son utilisation dans le domaine publicitaire. En effet, la réclame d'autrefois pouvait s'apparenter à un langage proche de la transmission d'informations Elle présentait les produits au consommateur en lui prescrivant explicitement de les acheter. Aujourd'hui, la publicité ne dit plus au consommateur qu'il faut acheter mais elle tente de lui donner envie d'acheter, ou comme le précise Denis Bertrand : La publicité ne consiste ni à informer, ni à convaincre, mais à engager un processus d'auto-persuasion Cependant, la manipulation se présentant comme un art, on verra qu'elle ne peut jamais être totale et que le locuteur n'est jamais certain que son interlocuteur construise le sens qu'il voulait lui faire construire Une manipulation jamais totale Nous avons donc vu que pour manipuler quelqu'un par la langue, c'est à dire le faire agir d'une certaine façon, il faudra avant tout lui faire construire un certain sens à partir de nos énoncés. [...]
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