Il existe vraisemblablement des conditions anthropologiques d'apparition de savoirs métalinguistiques qui rendent possibles la naissance et le développement de traditions grammaticales (pour un tableau synoptique de ces traditions « autochtones », voir Auroux 1996, « Chronologie de la réflexion linguistique », p. 359-394). Ces conditions sont évidemment diverses et les disciplines qui les étudient variées : psycholinguistique, linguistique, spécialistes de l'acquisition des langues maternelle, secondes, étrangères… Les débats sont nombreux pour savoir si l'aptitude métalinguistique qui semble concerner tous les locuteurs de toutes les langues n'est qu'un aspect de la métacognition, ou s'il s'agit d'une aptitude spéciale, plus fondamentale et plus complexe que tout autre aspect métacognitif. Pour ce qui intéresse l'histoire des idées linguistiques, on peut modestement partir d'un double fait empirique aisément constatable : s'il existe des traditions grammaticales dans différentes cultures, toute culture ne développe pas nécessairement de tradition grammaticale.
De cette double constatation strictement empirique on peut tirer une question (à laquelle on ne peut prétendre répondre de manière complète et totalement satisfaisante…) : de quelle nature sont les conditions d'émergence de réflexions métalinguistiques suffisamment organisées (comment ?) pour donner naissance à des traditions grammaticales repérables sur le long terme (comme la tradition gréco-latine, indienne, chinoise, arabe… par exemple). Ces savoirs et traditions sont-ils radicalement différents les uns des autres ? Possèdent-ils au moins un « air de famille » ?
[...] L'idée de tissage par exemple, gouverne à la fois la parole poétique (énigmatique), le mariage (représentation du dialogue homme/femme), l'activité du tisserand (la femme file/l'homme tisse), la plante (le coton), le larynx enfin où se tissent les paroles humaines . Aucun aspect de ce dont parlent les descriptions grammaticales n'est véritablement absent de ces philosophies de la parole pour reprendre l'expression de G. Calame Griaule. Il n'y d'autre part, aucune raison de considérer que ces récits ne témoignent pas d'un certain type de savoir concernant le langage et les langues. [...]
[...] et, d'autre part, sur le souci du décodeur de bien comprendre le message, qui se manifeste par des phrases comme Que voulez-vous dire ? Il en résulte un remplacement du signe qui fait problème par un autre signe appartenant au même code linguistique [=synonyme] ou par tout un groupe de signes du code [=glose] (Jakobson : 53). Ainsi, la dimension métalinguistique telle que la conçoit Jakobson ne se base-t-elle pas sur une vision de la langue comme système formel, ni sur une totale séparation comme chez les logiciens, entre le système de la langue et celui du métalangage. [...]
[...] Platon, Phèdre de la possibilité indéfinie de reprise, commentaires, modifications ; la bi-dimensionnalité du support graphique (possibilité de tableaux, de tableaux à double entrée, de listes, de mise en forme paradigmatique de l'information Ce sont ces trois caractéristiques (avec leurs corollaires) qui autorisent à parler de l'écriture en termes d'« outil de technique (même s'il s'agit d'outillage mental au delà de l'analogie vague ou de la métaphore. En même temps, elles montrent que toute transposition de la parole n'est pas une écriture au sens propre. [...]
[...] Même si, bien sûr, le développement de savoirs métalinguistiques conscients s'appuie sur l'aptitude sans doute universelle au jeu épilinguistique spontané, ce développement culturel (culturel à condition d'inscrire la technique dans la culture) suppose le franchissement d'un pas supplémentaire qui conduit progressivement à l'externalisation : caractère objectivable, formalisable, public, exotérique, contrôlable, rectifiable, voué à des formes de cumulativité d'un savoir épilinguistique qui, lui, reste lié à la singularité de certains sujets, certains statuts, certains dons particuliers et à des circonstances précises Bien sûr, la distinction entre épilinguistique et métalinguistique peut sembler fragile. Elle est pourtant essentielle pour comprendre l'émergence de traditions grammaticales vouées à la transmission et aboutissant à la grammatisation de toutes les langues du monde. [...]
[...] Pour Jakobson, la faculté de parler une langue implique la capacité d'opérations métalinguistiques telles que la révision et la redéfinition du vocabulaire employé. L'usage de mots et la définition de mots sont vus par Jakobson comme deux activités complémentaires. Cette activité (fonction) métalinguistique de redéfinition qui relève de l'autonymie se manifeste dans la recherche de synonymes, de circonlocutions, et de paraphrases. Il s'agit de l'interprétation intralinguistique d'un mot ou d'une phrase au moyen d'autres codes. Cela revient donc à une activité de recodage. [...]
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