L'existence de la langue est indissociable de toute société humaine, en tant que condition de possibilité de la communication qui se doit d'obéir à un code générique et transmis. Universelle donc, la langue n'en est pas moins tout autant intimement privée : c'est ce que nous apprend Roland Barthes qui distingue idiolecte et sociolecte, le code commun de l'expression singulière. La langue est donc un phénomène nécessairement politique, puisqu'elle régit, autant que le pouvoir politique, les relations entre l'individu, le collectif et le supra-collectif. Et la politique linguistique correspond donc à la détermination des grands choix en matière de rapport entre les langues et la société. Et pourtant, la notion de politique linguistique n'apparaît sous la plume de Fisman que dans les années 1970, dans le contexte de la décolonisation et de l'apparition de jeunes Etats indépendants. On voit dans cette évolution la traduction du fait que deux problématiques s'affrontent dans le champ conceptuel considéré : d'une part, l'intervention standardisatrice de l'Etat pour construire une identité nationale qui se heurte à la diversité des langues et d'autre part, la volonté de leurs locuteurs de les préserver. Si la langue est d'abord un véhicule de communication, elle est difficilement détachable de l'attachement affectif qu'on lui attribue, et dont les Etats se sont largement servi pour en faire le symbole de l'identité nationale. Que peut alors être une politique linguiste légitime? Celle qui permet l'égale intégration et participation de tous dans la nation? Celle qui au contraire garantit l'égal respect de toutes les langues? Mais alors selon quel statut, et au détriment de l'intégration nationale? On verra que si l'imposition d'une lingua franca est indispensable à la construction d'une nation qui consacre la participation égale de tous au débat politique (I), l'unilinguisme poussé à son extrême est porteur de division de l'espace nationale au regard de l'attachement affectif porté à la langue maternelle (II). La politique linguiste légitime, qui respecte la diversité en consacrant l'égalité, doit créer le multilinguisme (III), nécessité problématique dans la mesure où ce dernier peut adopter des formes variées qui ne se valent pas toutes.
[...] Mais l'Europe possède-t-elle une véritable politique linguistique ? Pas vraiment, et de là découlent plusieurs problèmes. On sait qu'entre les citoyens, l'anglais est devenu la langue principale de communication. Dans l'enceinte administrative et exécutive, la Commission, adoption a été faite de quelques langues de travail seulement, essentiellement le français et l'anglais, pour plus d'efficacité. On arrive à des niveaux de compréhension et de discours qui s'effectuent indifféremment dans les deux langues. On voit donc qu'une sélection linguistique de fait s'opère. [...]
[...] Conclusion Qu'est-ce une politique linguistique légitime ? Il ressort de notre travail qu'est légitime une politique linguistique qui maintient un équilibre subtil entre d'une part une langue de travail et de communication, accessible et enseignée à tous, véritable instrument de promotion sociale et de démocratie, qui perdra d'autant son prestige social plus qu'elle sera banalisée et d'autre part un multilinguisme auquel on donnerait vraiment sa chance. La responsabilité politique qui consiste à donner accès à tous à la langue de communication est indissociable d'une seconde responsabilité qui est de maintenir et de développer la maîtrise de chaque langue nationale, ce qui doit passer par une meilleure protection et une légitimation renforcée des langues nationales. [...]
[...] Mais est-ce pour autant le rejet de la dimension locale et de la diversité ? Ces deux tendances sont-elles réellement contradictoires ? Peuvent-elles coexister ? Peut-on imaginer des actions de planification linguistique qui les accompagnent, limitant les excès et les dérives de l'une comme de l'autre ? Une solution serait de cantonner l'anglais à sa fonction d'outil de communication. Sa fonction est en effet profondément différente de celle d'une langue d'identification personnelle ou collective comme le sont les langues des communautés culturelles, nationales ou minoritaires. [...]
[...] Pour une politique de la langue interétatique ? L'exemple européen 1. La crainte de l'uniformisation. Comme on l'a vu, l'apprentissage de l'anglais, désormais propagé dans le monde entier, constitue une valeur ajoutée pour l'individu. C'est ce qu'Abram de Swaan nomme le phénomène de la langue ‘hypercentrale', qui devient outil de communication essentiel et requis dans certaines sphères d'activités. C'est un phénomène qui s'auto-entretient, puisque la stratégie d'apprentissage se fait également sur l'idée que de nombreuses personnes apprennent cette langue et qu'ainsi, mes opportunités de connections avec les autres seront plus fortes. [...]
[...] L'enjeu du multilinguisme A. Un multilinguisme national est-il possible ? Les exemples d'instauration du multilinguisme au niveau étatique s'axent autour d'une division entre principe de territorialité et principe personnel, qui sont deux modalités de constitution du multilinguisme, ni l'une ni l'autre étant exempte de problèmes Le principe de territorialité : de la difficulté d'éviter une superposition d'unilinguismes. En Suisse, le principe de territorialité prévaut. Plusieurs régions linguistiques coexistent (langues officielles : italien, français, allemand, et romanche uniquement pour les relations avec la Confédération). [...]
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