Dans les espaces post-coloniaux, et notamment à la Martinique, la question de l'identité a été la première interrogation des peuples en attente de devenir les acteurs de plein exercice de la devise fondamentale “liberté, égalité, fraternité” inscrite sur les tableaux noirs de toutes les écoles républicaines. Le sentiment patriotique se développait de force - imposé par l'Etat colonial - autour du tryptique : “une terre, une langue, un peuple”, dans une institution qui prescrivait l'exclusivité de la langue et de la culture françaises ; nourrissant ainsi la confusion et l'incohérence de sociétés vivant quotidiennement un rapport au monde insulaire exprimé par une langue vernaculaire, le créole, chargée du poids et de l'émotion d'une histoire de résistances.
L'école française au service d'une politique coloniale se voyait détournée de sa mission, échouant à former des esprits libres et critiques, à transmettre du savoir et des savoirs faire, à pérenniser le devoir de sauvegarde du patrimoine intellectuel et culturel. Au contraire, elle servait le jeu de l'assimilation en jugulant le créole perçu comme un élément de subversion révolutionnaire. Or, en diabolisant la langue maternelle, elle « coupa la langue » de milliers d'Antillais qui se retrouvèrent dans une sphère d'insécurité linguistique : d'une part, la maîtrise de la langue française apparaissait comme incontournable pour une évolution sociale mais elle aboutissait à une assimilation identitaire qui plaçait l'Antillais en situation exogène par rapport à son vécu et sa réalité existentielle ; d'autre part, l'usage de la langue créole renvoyait son locuteur au lieu de l'infamie et de la barbarie : l'esclavage et la soumission, mais son rejet était aussi celui d'une façon unique de dire la spécificité d'un monde jailli de la matrice de l'habitation-plantation. D'ailleurs cet espace, clos et autarcique, qui perdura avec panache jusque dans les années 1940 fut le rival le plus puissant de l'école républicaine des bourgs et de la capitale Fort-de-France.
Avec la revalorisation du créole et la création d'une poétique de la diglossie par les écrivains de la Créolité, la pratique de la langue vernaculaire – et surtout sa survie – après des années d'interdit, de désaffection et de dévalorisation est devenue un impératif politique et identitaire. Mais ni l'utilisation du créole à l'école ni même la mise en place d'un CAPES créole ne peuvent satisfaire une politique linguistique motivée car la langue n'est pas seulement un outil de traducteurs ni un strict vecteur de communication : elle est l'expression de toute expérience humaine. Dès lors, sa pratique - et sa défense - entraîne une réflexion sur la place du milieu et des possibilités scolaires comme lieu d'apprentissage et d'expérimentation ; mais l'exemple de la Martinique montre que le seul système scolaire ne peut protéger la langue de la dissolution ou de la désaffection par une population tournée vers la maîtrise des langues de l'économie mondiale. Dès lors, c'est dans le milieu de la créativité linguistique, que l'école va trouver son meilleur partenaire : la revalorisation culturelle et la stimulation de la production esthétique et artistique vont achever la sensibilisation et la fin des complexes entamées par l'école. L'avenir des langues menacées semble bel et bien trouver son lieu de force dans les identités assumées et structurées.
[...] La créolisation de la langue et des identités est désormais en marche. Mais la perte de la langue vernaculaire a pour effet une perméabilité renforcée de l'assimilation à l'autre. Après 1848 Pour les nouveaux citoyens français de 1848, date de l'abolition de l'esclavage, le créole, seule langue de communication entre toutes les composantes de la société martiniquaise, ne connaît ni ostracisme ni rejet : il symbolise puissamment un passé colonial, certes triomphant pour les anciens maîtres, mais il est la seule façon d'exprimer une présence au monde pour les descendants d'Africains amputés de leurs langues d'origine. [...]
[...] L'avenir des langues menacées semble bel et bien trouver son lieu de force dans les identités assumées et structurées. I . Le français ou l'insécurité linguistique Un rappel historique est nécessaire pour comprendre comment l'imposition du français a abouti à l'insécurité linguistique du Martiniquais. Avant 1848 Les Africains déportés sont les premiers à faire l'expérience de la mise à mort immédiate et définitive de leur langue vernaculaire. Devenus, à leur insu, nègres et biens mobiliers on ne disait pas chargement de nègres mais cargaison de bois d'ébène - l'isolement linguistique devient le premier outil de leur déshumanisation. [...]
[...] Je dis bien qu'on la tolérait. La situation pouvait en effet varier d'un établissement à un autre. Dans certaines écoles, on pouvait lire sur les murs Interdit de parler créole on pouvait être puni par les enseignants pour usage du créole. Il y avait donc d'un côté une certaine forme de répression à l'égard du créole, et de l'autre une valorisation du français. A présent, on assiste à une inversion de la tendance, phénomène à mon goût tardif car la jeunesse martiniquaise est profondément francisée. [...]
[...] Lorsqu'on travaille sur un texte en créole et que je leur demande de surligner les mots qui leur sont inconnus, il est rare qu'un étudiant me présente un texte sans aucun mot surligné. Et cette méconnaissance s'explique par le fait que de nombreux termes présents dans la littérature créole font référence au monde paysan ou sont hérités de la période coloniale. Ce sont des mots que nos étudiants ne peuvent pas connaître du fait de leur âge. Le créole est une langue mixte qui s'est faite à la fois par la langue des colons et celles des esclaves africains. [...]
[...] Aujourd'hui, les békés parlent toujours créole. Et lorsque les colons ont commencé à faire fructifier le marcher de la canne, on a assisté à un afflux d'esclaves qui a engendré la créolisation du créole. Bibliographie BENTOLILA Alain, Tout sur l'école Paris, Odile Jacob BENTOLILA Alain(sous la direction Ecole et langage Paris, Nathan HAGEGE Claude, L'enfant aux deux langues / 2005, Paris, Odile Jacob Halte à la mort des langues Paris, Odile Jacob Articles et travaux du GEREC, Groupe d'Etudes et de Recherches en espace créole et francophone. [...]
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