Je dis souvent que je viens d'une famille « multinationale »: ma mère est Serbe et mon père est Monténégrin. Mais attention, le fait que ma mère est Serbe ne veut pas dire qu'elle est née en Serbie, où qu'elle a passé une partie de sa vie en Serbie, ni que ses parents sont nés en Serbie. Non, ma mère est née au Monténégro, à part quelques visites de Belgrade elle connaît assez mal la Serbie, finalement elle n'a que quelques amis et quelques cousins habitant Serbie. Mais elle se "sent serbe". Et nous voilà au cœur du problème: dans ma famille une seule langue est parlée, mais mon père vous dira que nous parlons monténégrin et ma mère vous dira que nous parlons serbe. Les tensions au sein de ma famille reflètent les mêmes tensions qui déchirent mon pays, le Monténégro. Pour s'ouvrir et pour prétendre rejoindre l'universel, il faut d'abord savoir très précisément qui l'on est, il faut s'assurer qu'on ait vraiment un lieu fort de notre identité, qu'on a d'abord un point d'ancrage. Depuis douce enfance mon identité se construisait sur le sentiment serbe. Maintenant si je veux appartenir à mon peuple, qui est désormais un peuple monténégrin il faut m'endosser l'identité monténégrine qui est inconciliable avec l'identité serbe déjà ancré dans ma personnalité. Je me sens brisée, j'essai de coller ces deux morceaux sachant pertinemment que la fissure sera toujours visible. Me demander si je parle serbe où monténégrin est comme si me demander de trancher si je préfère ma mère où mon père. Pourtant je ne tracerai pas mon autobiographie langagière puisque les blessures sont toujours ouvertes et mes sentiments ont du mal à s'exprimer en paroles. Cette introduction qui n'est pas tout à fait appropriée à ce genre du devoir s'explique par mon désir de suggérer combien tous ces discussions sur la langue serbo-croate cachent des drames personnels et pénètrent beaucoup plus loin que les locuteurs eux-mêmes ne songent pas. J'essayerai de présenter ce parcours du serbo-croate jusqu'au monténégrin en débutant par un développement historique et en traitant de suite cette langue (où ces langues) du point de vu linguistique et sociolinguistique.
[...] Analyse de situations plurilingues assorties de la politique linguistique : De serbo-croate jusqu'au Monténégrin Je dis souvent que je viens d'une famille multinationale : ma mère est Serbe et mon père est Monténégrin. Mais attention, le fait que ma mère est Serbe ne veut pas dire qu'elle est née en Serbie, où qu'elle a passé une partie de sa vie en Serbie, ni que ses parents sont nés en Serbie. Non, ma mère est née au Monténégro, à part quelques visites de Belgrade elle connaît assez mal la Serbie, finalement elle n'a que quelques amis et quelques cousins habitants en Serbie. [...]
[...] L'attachement fort des citoyens yougoslaves à leur nationalité peut être mesuré par les recensements communistes, qui demandent aux citoyens de se déclarer d'une nationalité, d'une région, ou simplement yougoslave Le nombre à se déclarer yougoslave ne fut jamais supérieur à Une fois que le nationalisme a gagné la langue serbo-croate, celle-ci est passée d'un moyen de communication à un instrument d'identification, voire un instrument de division. Miroslav Krleza, un écrivain croate, a déclaré sur un ton ironique que les Serbes et les Croates étaient deux peuples divisés par une langue et un dieu. Les batailles linguistiques se trouvent à la surface des batailles d'affirmation identitaire. [...]
[...] Quel avenir pour les nations ? Les États ? dans L'état de l'Europe, sous la direction de F. Féron et A. Thoroval, éditions La Découverte, Paris - Manessy, G., Wald P., Plurilinguisme : normes, situations, stratégies, L'Harmattan, Paris 1979 - Valladao, Alfredo G. Le XXIe siècle sera américain, Paris, Éditions La découverte Sites Internet -http://www.cslf.gouv.qc.ca/publications/PubF149/F149ch1.html (Langue nationale et mondialisation : enjeux et défis pour le français ; Actes du Séminaire - ET 27 OCTOBRE 1994 À QUÉBEC) -www.books.google.com Abouret-Keller A. [...]
[...] L'héritage du monde orthodoxe a favorisé l'alphabet cyrillique avec le serbe, le russe, le biélorusse, l'ukrainien, le bulgare et le macédonien. La création du serbo-croate était un acte manifestement politique qui voulait promouvoir le yougoslavisme, l'union des Slaves du sud dans une seule et même entité territoriale, en dehors des empires austro-hongrois et ottoman. Ce type de démarche, au XIXe siècle, est commun à la plupart des pays d'Europe, de la Norvège à l'Italie, où le souci d'unification politique impliquait la création d'une langue commune, peu de pays en possédaient une. [...]
[...] Le contrat social linguistique est remis en cause. Le niveau national comme lieu de référence s'estompe. Est-il encore concevable le développement et le maintien de politiques ou de réglementations linguistiques sur le sentiment national ? La dislocation du serbo-croate reflète dans quelle mesure l'unification de la langue peut entrer en conflit avec l'affirmation d'identité nationale et culturelle. Dans le cadre de l'élargissement européen, cette question reste toujours d'actualité. Si on compare les Britanniques, les Américains et les Canadiens qui parlent l'anglais (avec leurs variantes locales) tout en constituant des nations différentes, aux peuples d'ex-Yougoslavie, pour ceux derniers l'importance de la langue en tant que symbole identitaire est éclatante. [...]
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