Bossuet style stylistique mort sermon homélie
Les sermons de Bossuet comptent parmi les réussites de style les plus achevées de la langue française. Le fameux sermon sur le mort fait partie de ces prouesses dans lesquelles le génie déploie toutes ses potentialités. Il est donc pertinent de tenter une réflexion d'ordre stylistique sur l'exorde de ce texte.
Dans un premier temps, un rapprochement avec la conception antique de la rhétorique pourra se révéler fructueux, puis on se penchera sur la spécificité du genre auquel appartient se sermon, tel que les éléments stylistiques le manifestent. Enfin, on s'attardera sur les aspects de ce texte qui permettent de parler d'une rhétorique du concret.
[...] D'ailleurs, il n'est pas exclu que le scripteur ait procédé, dans la retranscription, à une certaine réécriture pour rendre le texte plus adapté à la publication, et que de ce fait, il ait pu ôter certains signes d'oralité extra-textuels bien sûr, mais aussi des éléments textuels malvenus dans un texte écrit en raison de leur non pertinence significative (phatèmes tels que n'est-ce pas ? ou du manque de musicalité dont une autre raison permettait, en situation d'énonciation, de justifier la présence. Alors dans ce cas pourquoi avoir gardé ces vestiges ? Pour répondre à cette question, il faut considérer que le support n'est pas sémantiquement neutre. C'est-à-dire que l'oralité peut donner un surplus de sens à une production verbale, dans le cas précis d'un registre persuasif. [...]
[...] L'orateur met en valeur la réticence de la nature à se pencher sur un tel sujet : des yeux si délicats ne seront-ils point offensés[17] Cette réticence est due aux passions, qui selon le schéma classique du XVIIe siècle, s'oppose à la raison, ici à la connaissance de la mort : Entre toutes les passions de l'esprit humain[18] L'auteur précise plus loin de quelle passion il s'agit, à savoir les désirs[19] Une autre cause de la difficulté est la faiblesse de l'esprit : C'est une étrange faiblesse de l'esprit humain que jamais la mort ne lui soit présente[20] Pour ce qui est de la docilité, c'est la partie du sermon qui suit ce texte qui la sollicite. Mais on voit par les réflexions qui précèdent toute la mesure selon laquelle l'orateur est imprégné de rhétorique classique. Enfin, un dernier élément qui permet de parler d'une approche rhétorique fructueuse de ce texte touche à ce qu'Aristote appelait l'ethos. Il s'agit des aspects du discours qui visent à établir la crédibilité du locuteur. Ce dernier doit en effet se montrer compétent et prudent, honnête, mais également généreux et bienveillant vis-à-vis de l'auditoire. [...]
[...] En revanche, si l'on considère non plus les sujets, mais les buts du genre délibératif, on peut légitimement intégrer ce texte à une perspective délibérative, puisque le but pour lequel on conseille est le bonheur, quel que soit le domaine d'action possible, politique dans le schéma aristotélicien, et religieux dans le cas présent. Il est également très pertinent de considérer que ce texte est un exorde, et qu'à ce titre, elle répond aux critères d'une telle partie d'un discours. En rhétorique classique, il s'agit de susciter, au début d'un discours, chez l'auditeur, trois passions qui permettent à l'orateur de s'assurer l'écoute de l'auditoire. Il faut rendre l'auditeur bienveillant, attentif et docile. [...]
[...] Si l'on cherche la raison pour laquelle un support particulier est attaché à ce genre, il faut se pencher sur la nature de l'homme. Celui-ci ne se laisse pas convaincre sans se laisser émouvoir, et ne se laisse pas émouvoir par des discours dans l'universel, car toute passion est liée à une représentation sensible ou une sensation. Or les idées universelles ne se laissent pas représenter sensiblement. Comme par ailleurs on a vu que l'oral était le support du hic et nunc, du singulier[36], celui qui veut convaincre passera par un discours oral. [...]
[...] Il est aussi question de contempler[52] On peut se demander la raison pour laquelle le prédicateur sollicite à ce point la vue et les autres sens. C'est qu'il s'agit de convaincre, et par conséquent d'émouvoir. Or, les émotions sont liées à des images suscitées dans l'imagination. L'aspect visuel est donc mobilisé ici pour, in fine, persuader l'auditoire. C'est ainsi que par la référence constante aux perceptions, le prédicateur met en place un univers sensitif qui permet une grande proximité avec l'auditoire du fait de la capacité des sens à saisir l'environnement hic et nunc, le concret. Aristote, Rhétorique, Paris, Les Belles Lettres I p 82. [...]
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