Œuvres : Alexandre Koyré, Du monde clos à l'univers infini -Miguel Abensour, L'utopie de Thomas More à Walter Benjamin
Comprendre ce qui est, c'est-à-dire le réel, est un enjeu majeur de la philosophie. Mais peut-on se suffire à le décrire ? Car, sommes-nous sûrs que le réel, tel qu'on le conçoit, soit le seul envisageable ? Le réel n'est-il pas une construction de la pensée humaine ? Ainsi le réel peut être conçu comme ce qui est, être qui est immuable et ordonné. Ce réel peut être de nature physique ou de nature politique, nature dont il faudrait connaître la forme. Nous ne devrons que trouver le moyen d'accorder notre raison à cette réalité telle qu'elle est présente et telle qu'elle se présente à nous. Ce que nous attendons donc de l'homme, c'est de se conformer au réel.
[...] Thomas More est bien l'inventeur de la notion, conçu comme un nouveau dispositif rhétorique. Chez Thomas More, l'utopie qui semble positive et joyeuse est conçue comme une proposition, un nouveau type de discours placé sous le signe de l'ambiguïté savante. Chez Benjamin au contraire, l'utopie vient répondre à la « catastrophe » qu'il pressent (ses réflexions se poursuivent de 1935 à 1939). Elle est conçue dans une réflexion critique et politique, avec pour objet d'en faire une arme contre les dangers à venir. [...]
[...] Il n'y a également évidemment plus de centre : le centre n'est qu'un point de vue relatif au reste. Il ne peut y avoir de centre dans l'infini. Pour autant, Nicolas de Cues ne remet pas en cause l'ordre divin : bien que non situé dans l'espace, c'est Dieu qui ordonne le monde et qui en est son centre. Seul Dieu, dans la conception de Nicolas de Cues, peut donc se comprendre comme un être infini, à la fois centre et limite du monde. [...]
[...] C'est celle, pour reprendre l'expression de Koyré, de la « destruction » du cosmos et de la conception aristotélicienne de l'espace. La révolution scientifique de Copernic et métaphysique de Nicolas de Cues décentre la place de la Terre dans l'Univers. Cette révolution n'est pas seulement scientifique : elle révolutionne également les cadres de notre pensée. Avec le décentrement de la Terre dans le cosmos, c'est également l'homme qui perd sa place de créature privilégié dans le monde. L'homme perd sa place dans le monde, mais également le monde même, celui qui fondait le cadre de son existence et qui était l'objet de son savoir. [...]
[...] Cette force de réveil, nous la trouvons dans l'utopie elle-même. C'est dans sa force allégorique, sa force d'évocation et de déplacement, qu'elle peut ouvrir la voie à une résistance dialectique. Ce qu'on doit retenir de l'utopie, c'est son geste, celui de déplacement du réel, c'est-à-dire le présent : parce que nous savons qu'il y a un passé, que ce passé n'est pas comme le présent, nous savons que nous pouvons nous projeter dans un futur. Cela ne doit pas être une réactivation du passé, mais la compréhension que l'utopie s'est toujours présentée dans le passé comme un impératif d'un sauvetage de l'homme face au présent. [...]
[...] Mais comment se compose cette utopie collective ? Elle contient une dimension critique (une aspiration vers un ordre meilleur) et mythique à la fois. Elle critique le temps présent et le passé proche et fait la proposition d'un futur appuyé sur des images d'un « passé qui n'est plus là ». Ainsi, elle réactive une dimension mythique du passé, un « âge d'or » perdu qui, réactivé, pourrait nous conduire à une société future (en l'occurrence, une société sans classe). [...]
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