« C'est beau d'être vertueux, mais apprendre aux autres à l'être, c'est encore plus beau… et tellement plus facile! » C'est par cette formule cinglante que Mark Twain met en relief à la fois la difficulté pour l'Homme à être vertueux et sa prétention à enseigner la vertu aux autres malgré ce défaut.
Or, il semble que seul un mathématicien soit en mesure d'enseigner les mathématiques; que seul un musicien soit en mesure d'enseigner la musique. Alors Protagoras, Hippias, et avec eux les sophistes, qui prétendent enseigner la vertu, sont-ils des hommes vertueux, virtuosi (du latin virtus : qualités qui font la valeur de l'homme moral) ? Savent-ils en quoi elle consiste précisément ?
[...] L'enseignement de la vertu est possible s'il ne se réduit pas à des dogmes ou des doctrines. Aristote conclut que cet enseignement s'apparente à la pratique, à l'habitude, à un développement intérieur ; il s'agit donc d'un enseignement qui ne peut venir de l'extérieur, mais qui s'apparente à l'ascétisme moral de la Doctrine de la vertu : c'est intérieurement que la vertu s'acquiert. Nous l'avons vu, la question de l'enseignement de la vertu pose différents problèmes : avant tout, il semble difficile d'enseigner la vertu, car nous ne possédons pas de définition efficace de la vertu. [...]
[...] La vraie maxime de la vertu, donnée par Schopenhauer, confirme cette dimension sociale accordée à la vertu : neminem laede (ne fais de tort à personne), qui pourrait s'apparenter à un devoir de Justice ; immo omnes, quantum potes, iuva (mais au contraire, autant que tu le puisses, aide tout le monde), qui pourrait s'apparenter à un devoir de Charité. Cette maxime morale rejoint donc la distinction kantienne entre les devoirs de droit, représentés par la vertu cardinale de Justice, et les devoirs de vertu, représentée par la vertu théologale de Charité (distinction que l'on retrouve aussi sous la plume de Voltaire à travers le vocable bienfaisance qui s'apparente lui aussi à la charité et s'oppose à la Justice). Pour Schopenhauer, vivre en société implique que la vertu se dirige toujours vers autrui. [...]
[...] Par conséquent, on peut penser que la vertu se situe dans l'intention, non dans l'action comme le soutien Aristote. Dans ce cas, il semble difficile d'enseigner des intentions : la vertu est une disposition de l'âme, qui ne peut être enseignée, car on peut imaginer qu'un homme mauvais, lâche ou téméraire le sera toujours. Ce que l'on peut enseigner, ce sont des actes (par exemple le respect des lois), mais il semble impossible d'enseigner les intentions correspondantes (l'amour de ces lois). [...]
[...] La vertu serait donc un don des dieux, et pourrait s'apparenter à ce que les Jésuites et les Jansénistes du XVIIe siècle appellent la grâce L'intervention divine est donc invoquée comme le moyen de concilier ce qui est acquis avec ce qui ne peut pas s'enseigner. Mais en réalité, Socrate se joue de Ménon en désignant la vertu par opinion vraie car comment pourrait-on savoir qu'une opinion est vraie c'est-à-dire conforme à la vérité, sans posséder la vérité, c'est-à-dire la science ? Nous le comprenons, mais Ménon se satisfait pourtant de la réponse. [...]
[...] Socrate, dans le Protagoras est le Ménon, insiste sur le fait que la vertu est une ; cependant, il semble parvenir à la conclusion qu'elle n'est pas science. Comment une telle conciliation est-elle possible ? Socrate introduit pour cela la notion d'opinion vraie : il prend l'exemple d'un guide qui connaît une route pour l'avoir utilisée ; ce guide est un bon guide précisément parce qu'il connait la route. Mais un autre guide, qui n'a jamais été dans un endroit donné, pourra lui aussi être un bon guide s'il a une opinion vraie sur les choses que le premier guide connait. [...]
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