S'inquiéter peut signifier à la fois se faire du souci, s'alarmer, et se préoccuper, s'occuper de savoir quelque chose. Nous nous intéresserons aujourd'hui plutôt à l'inquiétude au sens de trouble, de tourment, de souci. Au sens courant, l'inquiétude désigne « l'état pénible consécutif à l'attente d'un événement susceptible d'avoir une issue fâcheuse et qui empêche le repos de l'esprit » ; au sens psychologique, c'est une « disposition spontanée consistant à ne pas se contenter de ce qui est, et à chercher toujours au-delà », et enfin en philosophie il s'agit d'un « état d'insatisfaction, de souci propre à l'être humain » (La Philosophie de A à Z par Clément, Demanque, Hansen-Love et Kahn, 2004). Ainsi, nous devons maintenant démêler ces différentes définitions afin de cerner au plus près qu'est-ce que s'inquiéter. Pour cela, dans un premier temps nous nous intéresserons à l'enjeu métaphysique de cette notion : que signifie le fait que l'homme s'inquiète ? Qu'est-ce qui fait que l'homme s'inquiète ? Et dans un deuxième temps nous étudierons la dimension morale ici présente : la sagesse consiste-t-elle à vivre sans inquiétude ? (...)
[...] Tout d'abord, celle de Locke : au XVIIème siècle, il est l'un des premiers à vouloir définir l'inquiétude. Etant anglais, il la désigne par le terme d' uneasiness Dans Essai sur l'entendement humain (1960), il la définit comme étant le principal aiguillon de l'industrie et de l'activité des hommes Bien que d'autres philosophes se soient penchés sur cette notion avant lui, il est le premier à lui donner un sens positif. Leibniz reprend la thèse de Locke dans Nouveaux Essais sur l'entendement humain, en 1705, où il la nuance et où il lie définitivement l'inquiétude à la notion de désir. [...]
[...] Dans une même perspective chrétienne, Saint Augustin définit l'inquiétude comme le fait de ne pas savoir la vérité, il l'oppose à la certitude. Il utilise déjà l'image de l'aiguillon qui agite son cœur et entretient son impatience. En effet, l'homme ne sait pas où il va, ce qu'il est, ce qu'il doit faire, et ce sont toutes ces interrogations existentielles qui le tourmentent, l'agitent, le rendent mal à l'aise. Très concrètement, quand nous sommes inquiets à propos d'un retard d'autrui par exemple, nous ne tenons pas en place, nous sommes sous tensions. [...]
[...] Nous avons donc vu que l'inquiétude est une notion ambiguë, paradoxale, qui fait souffrir l'homme mais qui le fait aussi réagir et avancer par cette souffrance. On peut voir le fait de s'inquiéter comme un stimulus indistinct qui va nous mettre en action pour en connaitre la cause, et pour chercher à combler le désir sens très large, les diverses passions de l'âme- qu'il exprime. Les philosophes en ont des conceptions très différentes : les stoïciens estiment que les hommes ne doivent pas s'inquiéter puisque cela revient à craindre ce qui ne dépend pas d'eux, ce qui est nuisible et inutile ; pour Pascal l'inquiétude est la marque que l'homme n'a pas atteint Dieu et se détourne de sa condition misérable ; pour Saint Augustin, elle est la prise de conscience qu'il leur manque quelque chose et un aiguillon vers la conversion ; pour Leibniz enfin elle est la motivation qui nous pousse à se donner les moyens de combler nos désirs, tant qu'ils sont raisonnables. [...]
[...] La confusion même de cette sensation participe à sa fonction d'impulsion : si elle était trop distincte, nous serons passifs, nous resterions misérables en attendant un changement vers le bien. L'homme ne se donne pas les moyens de changer sa condition quand il en connait la vérité, mais l'inquiétude confuse, qui fait agir par instinct, à propos d'un manque mais nous ne savons pas lequel, agit comme un moteur pour trouver ce que nous incommode voire nous fait souffrir et en trouver une résolution. [...]
[...] Pascal le rejoint sur cette idée de retraite intérieure en affirmant que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. Pascal diffère un peu de la pensée stoïcienne en l'approfondissant et en la nuançant, mais il les rejoint : pour lui, la sagesse ne consiste pas à vivre sans inquiétude pour l'ataraxie, mais parce que la sagesse consiste à vivre avec Dieu, et que pour l'atteindre, il faut passer par cette agitation, la (re)connaissance de sa condition et son acceptation. [...]
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