Nous prenons pour objet de ce travail la relation que la philosophie de Merleau-Ponty va entretenir tout au long de sa vie avec Bergson. Il s'agit surtout pour nous de comprendre son évolution, et c'est pour cette raison que nous ne préférons pas parler encore de rapport. Nous voulons en effet « mettre à plat » ce rapport, et par conséquent quelque part le déconstruire en son cheminement, en sa progression. Aussi cheminerons nous avec Merleau-Ponty au fil de ses œuvres sur les considérations qu'il fait du bergsonisme, c'est-à-dire que nous suivrons autant que faire se peut de façon chronologique le rapport que Merleau-Ponty se crée avec la philosophie de Bergson. Nous verrons dans un premier temps qu'il adopte une attitude très critique commandée par l'ascendant que la phénoménologie husserlienne prend sur ses premières recherches. Nous verrons comment le bergsonisme est neutralisé dans les critiques qui surgissent au fil de La structure du comportement et de la Phénoménologie de la perception. Mais ce qui justifiera véritablement l'intérêt du détail de cette critique, c'est précisément la réhabilitation de Bergson qui s'opère chez Merleau-Ponty très vite après la Phénoménologie de la perception, et qui s'imposera de plus en plus fortement aux recherches propres de Merleau-Ponty, jusqu'à ce que Bergson devienne comme l'accomplissement inaboutie de la philosophie de Merleau-Ponty. Quand ce dernier verra dans l'ontologie de L'évolution créatrice la compréhension préformée de sa propre ontologie de la chair.
[...] Il faut dire ici que l'écart qui sépare Merleau-Ponty et Bergson au sujet de la spécificité vitale que nous découvrons être au monde nous paraît irréductible. D'abord, le propos de La structure du comportement et celui de L'évolution créatrice différent dans leur dessein. Bergson cherche à comprendre ce qu'est la vie, qu'est-ce qui fait que de la matière peut s'organiser en un vivant, il veut rendre compte du phénomène de la vie elle-même ; La structure du comportement s'engage dés le départ dans une entreprise destinée à fonder le sujet organique, elle étudie par conséquent la façon qu'a le vivant d'exister, et c'est l'explicitation de la notion de comportement qui dévoile peu à peu la signification de la vie. [...]
[...] Le bergsonisme est en ces trois mots exemplairement neutralisé. Id., ibid., p.70 Id., ibid., p.71 Deleuze, Le bergsonisme, P.U.F., p.1 Merleau-Ponty, L'union de l'âme et du corps chez Malebranche, Biran et Bergson, J. Vrin, p.123 Id., Phénoménologie de la perception, p.72 Id., ibid., p.76 Cf., ibid., p.430 Nous retranscrivons la note ajoutée à cet endroit par Merleau-Ponty pour sa clarté à ce sujet : Comme le fait par exemple Husserl quand il admet que toute réduction transcendantale est en même temps une réduction eidétique. [...]
[...] Elle est cohésion du sujet à lui-même et, à dire vrai, intuition et durée ne font alors qu'un. Par suite d'une dilatation de la durée, l'intuition du sujet est ainsi capable d'étendre son identité à des réalités extérieures à la conscience. Appréhendant ainsi le bergsonisme comme une métaphysique qui ne prétend pas à une philosophie de la conscience elle-même, Merleau-Ponty met de côté sa critique du réalisme pour faire apparaître l'intuition non plus comme une simple introspection mais bien comme extension de ma durée dans les choses mêmes. [...]
[...] Le temps se recommence : hier, aujourd'hui, demain, ce rythme cyclique, cette forme constante peut bien nous donner l'illusion de le posséder d'un coup tout entier, comme le jet d'eau nous donne un sentiment d'éternité. S'il n'est que présence, le passage n'appartient qu'au monde. Or il est nécessaire pour que le phénomène de passage soit compris que ce passage même s'offre en ses significations temporelles. On voit bien qu'il y a une ambivalence du temps en lui-même lorsqu'il dit qu' il faut comprendre le temps comme sujet et le sujet comme temps. C'est encore la position phénoménologique d'une subjectivité constituante qui commande la critique de Bergson sur la question du temps. [...]
[...] Cette seizième leçon nous paraît particulièrement significative de l'infléchissement de Merleau-Ponty vers la philosophie de Bergson. Certes on nous objectera peut-être que les circonstances d'un texte destiné à un cours empêchaient Merleau-Ponty d'établir une critique rédhibitoire du bergsonisme, il n'en reste pas moins que l'effort de Merleau-Ponty tend, bien plus qu'à une simple explication de texte, à retrouver dans le réalisme bergsonien un mouvement de transcendance qui, d'une certaine manière s'arrache ou opère un dépassement d'une conception réaliste des rapports de la conscience et du monde. [...]
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