Manifestement le type d'objectivité dont il va s'agir, si cette objectivité se manifeste de facto dans le discours et nécessairement (c'est-à-dire à la fois seulement en lui et en fait toujours en lui), se tient pourtant d'emblée au-delà du discours. Le langage se révèle alors comme un accident d'un type bien particulier puisqu'en fait il se révèle toujours essentiel et nécessaire (tout contenu logique a besoin d'être exprimé pour « vivre »). Nous reviendrons sur ce caractère pour ainsi dire « ineffaçable » du langage. Plus précisément, il va s'agir d'examiner pour Husserl le type d'objectivité qui préside à l'identité du sens, identité transcendante aux différents actes d'énonciation, et qui permet que plusieurs personnes disent « la même chose » et se comprennent. Pour que vive le sens selon Husserl donc, le principe d'identité est requis. La source la plus déterminante de la théorie husserlienne du sens idéal dans les Recherches logiques est certainement constituée par l'œuvre fondatrice de Bolzano, la Wissenschaftslehre de 1837. Comme le montre Jocelyn Benoist la notion husserlienne de signification, comme entité idéale pourvue d'une certaine forme d'identité, et qui est le support de l'objectivité de la science, entretient un rapport direct avec les idées bolzaniennes de « représentation en soi » et de « proposition en soi ».
Mais ce n'est pas la seule « face » de la théorie de la signification telle que la première Recherche est amenée à la présenter au service d'une élucidation phénoménologique de la science en tant que ce qui s'expose et se conserve dans des significations. Si l'horizon de Husserl est bien, après 1896 , celui d'un théoricien de l'idéalité du sens exprimé dans les énoncés, c'est aussi celui d'un psychologue issu de l'école de Brentano, donc raisonnant en termes « d'intentionalité », d'actes par lesquels la conscience vise des objets et par là se rapporte à eux. La phénoménologie, qui est encore définie dans la préface de la première édition des Recherches logiques (préface du volume II) comme une « psychologie descriptive », a donc d'abord commencé par résulter, comme l'écrit Jocelyn Benoist, « d'une sorte de synthèse de l'objectivisme anti-psychologiste bolzanien (qui aidera Husserl à découvrir la part de teneur « idéale » qu'il y a dans nos pensées mêmes), et de la psychologie brentanienne, comme philosophie de la conscience. La phénoménologie c'est, si on peut dire, l'idéalité du sens plus l'intentionalité » .
C'est donc la thèse d'une telle « dualité profonde » en même temps que d'une synthèse absolument originale présidant à la percée de 1901 qu'il nous faudra d'abord explorer au fil conducteur de la première Recherche. Le dispositif général du texte ainsi exposé, nous centrerons l'analyse dans un second temps sur deux problèmes, apparemment locaux mais en en fait tout à fait centraux, et où se joue quelque chose comme un basculement possible du texte : le traitement par Husserl de la question des « noms propres » et du problème des « significations essentiellement occasionnelles ».
[...] Il s'agit de la thèse de l'absence de limites de la raison objective qui réapparaît à la fin des Recherches en réponse au même problème. Il est bien vrai, commence par concéder Husserl, qu'il est impossible d'éliminer du langage toute expression subjective ou occasionnelle et cela non pour des raisons simplement pratiques, liées à la contingence des langues et des exigences de communication, contingences à laquelle une formalisation appropriée pourrait remédier, mais bien parce qu'il y va de la structure même du langage en tant que celui-ci porte toujours la trace de son propre acte. [...]
[...] Mais Husserl adopterait la première formulation. Ce qui apparaît alors ici clairement c'est le souci évident, de la part de Husserl, de maintenir une homogénéité dans sa considération du discours. Il n'y a pas de raison que les noms propres, s'ils sont des éléments linguistiques (donc, de son point de vue, signifiants) s'en exceptent. Rappelons que pour Husserl, une expression sans signification n'est, à proprement parler, en aucune façon une expression elle n'est rien d'autre qu'un semblant d'expression, qui donne cette impression du fait de sa ressemblance avec de véritables expressions. [...]
[...] Et comment comprendre l'axiome husserlien de l'homogénéité radicale du champ de la signification, l'affirmation selon laquelle entre significations et significations, il n'y a pas de différences essentielles si ce n'est en raison du but qui guide nos analyses à savoir l'institution de la logique pure et la fondation de la théorie comme telle, qui, comme système d'énoncés, efface par construction ses conditions du côté de l'énonciation ? C'est la détermination objective, en tant que plan des vérités, de ce qui a ses propriétés et ses relations nettement déterminées en soi qui dicte, dans une thèse d'exprimabilité qui constitue sans doute le cœur des Recherches, la possibilité d'être signifié de cette façon déterminée, dans sa déterminité. Il ne semble pas douteux donc que les impératifs logiques des Recherches referment explicitement la phénoménologie voulue libre de présupposés. [...]
[...] Husserl, il est vrai, en arrivera même à douter qu'il puisse jamais y avoir une pensée sans signes revenant, dans les tentatives de réécriture de 1913 de la première moitié de la Recherche VI, sur la doctrine qu'il avait formulée sur ce point dans la première Recherche[9]. Mais le point, quoique central puisqu'il suffirait à faire trembler tout l'édifice de la première Recherche, n'est pas là pour Husserl à ce stade : il s'agit pour Husserl dans cette Recherche d'isoler l'espèce du discours (Rede) que continue de toute façon de constituer la pensée, en tant que totalité articulée de sens. [...]
[...] Mais il s'agit bien de la garantie d' avoir un objet (réel, mondain) et non de la garantie d'avoir un sens qui demeure bien quant à elle dépendante de la seule visée significative. Ceci étant, revenons sur la façon dont la première Recherche, par delà ces problèmes, joue un rôle fondateur et stratégique dans la mise en place du concept d'intentionalité au sein de la percée de 1901. La description du procès de la signification permet en effet à Husserl, de dégager, en l'espèce des actes conférant la signification l'intention de signification comme la première modalité intentionnelle, frayant ainsi la voie au concept général d'intentionalité. [...]
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