L'homme est conscient de sa personne, de son corps et de sa vie. Les actes ou paroles qui émanent de lui, lui sont directement associés et imputées, puisqu'il a eu le choix de ne pas les commettre ou proférer. Ainsi, lui-même ne se connaît et les autres ne le connaissent réellement que par ce qu'il produit. En ce sens, ce à quoi l'homme donne un caractère effectif dans le concret, dans la pratique, en tant que clef de sa meilleure connaissance et compréhension, est soumis à analyses et jugements. C'est pourquoi, lorsqu'il donne une image honteuse, dégradante de lui-même, qu'il aurait mieux aimé ne pas offrir à autrui ; celui-ci ressent la gêne particulière qu'est la honte. Il expérimente par là la douleur de recevoir un jugement défavorable qui ampute l'amour et l'estime qu'il a de soi-même. La honte est une manifestation de la reconnaissance d'un manquement, souvent perceptible par des manifestations physiologiques et physiques, notamment dans et par les yeux des hommes. C'est le regard de l'autre qu'il devient dur de défier, le regard de soi-même que l'on cherche à éviter. La poétesse grecque Sapho dit en ce sens : "C'est dans les yeux que se loge la honte" c'est-à-dire en d'autres termes : la honte est dans les yeux. Quelle est en effet la part du rôle endossé par le regard dans la honte ? Dans le regard de qui se loge-t-elle ? (...)
[...] La honte est dans les yeux, mais dès lors dans les propres yeux du sujet. Au-delà de la dignité, le sujet agit de façon à assurer son honneur. Par là, il faut entendre la volonté de garder le droit à sa propre estime. Si c'est la perte de crédit aux yeux des autres qui est le moteur de la honte, c'est la perte de son honneur qui en constitue la douleur. C'est-à-dire que le sujet est forcé de réviser la vision et le regard qu'il porte sur lui-même, son estime de lui-même. [...]
[...] En effet, lorsque l'impératif reste rationnel et moral, la honte touche au corps et affecte physiquement le sujet qui en souffre. La honte est effectivement dans les yeux. Elle n'est pas ce que les yeux des autres voient ou renvoient, ni même ce que les propres yeux du sujet voient, mais ce qui est déjà inclus dans la façon de voir le monde. Pourquoi ne pas la considérer comme condition de possibilité a priori de la dignité et de l'honneur ? Si ceux-ci n'étaient pas menacés, ils n'existeraient pas. [...]
[...] L'adolescent à honte d'avoir souhaité la mort de sa mère lors des excès d'une violente dispute. En effet, il peut être rappelé dans ce cadre que le sujet considéré à une idée de ce qui peut le rendre honteux aux yeux des autres. Ce qui reste à la honte est alors le caractère de vertu, au sens où elle manifeste le bon sens du sujet, sa rationalité et sa mesure. C'est la mauvaise conscience de ne pas avoir effectué le choix qu'il faudrait ou dit ce qu'il fallait. [...]
[...] Cet état est indésirable, douloureux et peu soutenable. Il semble alors évident que l'homme cherche à s'en prémunir. Mais on comprend dès lors que si l'homme est susceptible de créer des situations honteuses, il n'en a honte que pour autant que quelqu'un d'autre en pris conscience, y a assisté. La honte ne peut être donnée par soi même. Par manque de réflexion, par réflexe ou par oubli de soi, il est possible de faillir à cette dignité, dont la conformité permanente relève d'un réel effort. [...]
[...] La honte est alors dans les yeux, certes, mais au sens où elle n'est nulle part ailleurs. C'est-à-dire qu'elle réside dans le corps et ses réflexes, et non dans l'âme, l'esprit ou la morale du sujet. C'est ici qu'il faut opérer un renversement de l'enjeu du sentiment de honte. Il n'est en effet pas indispensable qu'elle soit justement, un sentiment, expérimentable dans la pratique. La possibilité d'avoir honte relève en réalité d'une impossibilité à être parfait, à être irréprochable, digne et honorable en toute circonstance. [...]
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