Plaisir, douleur, cessation de la douleur, Schopenhauer, Socrate, souffrance préalable
Maurice Pradines a montré que, même chez l'homme, l'affection gouverne, sans le contrepoids de la raison, toute l'activité vivante. Il a souligné « l'hétérogénéité
fonctionnelle » de ces états affectifs primordiaux que sont le plaisir et la douleur,
expressions de la nature du contact avec l'altérité. La sensation délimite en effet la frontière entre le moi et le non-moi. Elle est un avertissement de ce qui menace l'intégrité du vivant, permettant d'éviter ce qui peut l'amener à sa perte ou, au contraire, elle avertit de ce qui contribue à son maintien dans l'être et à son épanouissement. La vie poursuit ses fins de façon autonome et persévérante, tout en se protégeant contre l'hostilité du monde. La douleur est liée à une activité de défense visant à repousser ce qui est étranger et hostile à la vie, au maintien de son intégrité.
[...] Spinoza et Bentham affirmaient que plaisir et douleur font partie d'un même spectre et Platon déjà affirmait que l'on ne peut avoir l'un sans l'autre bien que ce soient deux opposés. Dans le Phédon, on voit Socrate qui se frotte la jambe après que les fers aient été ôtés, occasion pour lui de constater comme un fait que le plaisir succède à la douleur. Quelle chose d'apparence déconcertante, amis, ce que les hommes appellent l'agréable. (60b.) Liés par la tête le plaisir et la douleur ne font-ils que se toucher ? [...]
[...] Le plaisir et la douleur : le plaisir n'est-il que la cessation de la douleur ? Maurice Pradines a montré que, même chez l'homme, l'affection gouverne, sans le contrepoids de la raison, toute l'activité vivante. Il a souligné l'hétérogénéité fonctionnelle de ces états affectifs primordiaux que sont le plaisir et la douleur, expressions de la nature du contact avec l'altérité. La sensation délimite en effet la frontière entre le moi et le non-moi. Elle est un avertissement de ce qui menace l'intégrité du vivant, permettant d'éviter ce qui peut l'amener à sa perte ou, au contraire, elle avertit de ce qui contribue à son maintien dans l'être et à son épanouissement. [...]
[...] Nous sommes, dit Pradines, les agents de nos plaisirs et les patients de nos douleurs Au XIXe siècle, Schopenhauer a repris cette thèse dans Le monde comme volonté et représentation. L'existence humaine est à ses yeux prisonnière de l'illusion du bonheur, oscillant constamment de la souffrance à l'ennui. Elle est vouée nécessairement à l'insatisfaction puisque le vouloir-vivre ne veut rien que sa propre affirmation. Pour lui, la douleur étant le fait primitif, le plaisir n'en est que la cessation. En effet dit-il, pour éprouver du plaisir à posséder quelque chose par exemple, il faut commencer par avoir désiré ce quelque chose, par avoir trouvé qu'il nous manquait. [...]
[...] Or ce manque est douloureux : le plaisir est donc paradoxalement issu de la douleur. Le plaisir n'apparaissant jamais qu'en contraste avec un état de souffrance, il ne constitue pas une donnée réellement positive pour les êtres en mouvement et désirant. Toujours fugace, il peut offrir un apaisement possible des désirs et des tracas ininterrompus, tout au plus un repos de l'esprit mais il reste un repos éphémère et illusoire puisqu'il est sans cesse troublé par l'apparition de nouveaux désirs, lesquels apparaissent en dehors de toute volonté consciente et réfléchie. [...]
[...] La contemplation, la mystique sont présentées comme une étape vers l'abolition du vouloir-vivre. Mais le salut par la gnose (connaissance) n'est accessible qu'à quelques saints, au nombre desquels Schopenhauer ne s'est pas compté lui-même. La compassion, la contemplation esthétique, en revanche, sont des voies offertes à tous, ne serait-ce que dans le spectacle de la beauté de la nature mais aussi dans celui de la souffrance d'autrui qui suscite notre empathie. Pourtant, malgré ce qu'en dit Schopenhauer, il y a bien des plaisirs que l'on obtient sans souffrance préalable. [...]
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