Le matérialisme affirmé par la doctrine atomiste, de Démocrite à Lucrèce, fut très régulièrement, à en croire Diogène Laërce, l'objet de toutes les critiques. En effet, le rejet de tout finalisme, de toute Providence, et le refus constant d'admettre d'autres principes que les atomes et le vide furent perçus, par les Stoïciens notamment, comme une impasse enchaînant la liberté humaine aux déterminations sensibles et empêchant l'Homme de régler sa vie pour atteindre la sagesse. Se demander alors si la nature atomique de l'âme et du corps fait obstacle à la liberté, invite à cerner les évolutions d'une pensée atomiste confrontée à une difficulté dont le terme grec de « skandalon » au sens propre
(« obstacle pour faire tomber ») comme au sens figuré (« qui est une occasion de scandale ») résume tout l'enjeu philosophique
[...] La physique épicurienne loin de faire obstacle à la liberté possède une valeur psychagogique exhortant à l'exercice de cette dernière. Si l'âme et le corps forment un corps composé de multiples particules corporelles indivisibles appelées atomes, l'agencement de ces derniers n'est pas entièrement dû au hasard, du moins l'introduction de l'aléatoire rend possible une capacité d'autodétermination. C'est ce que suggère le texte de Lucrèce consacré au développement de la théorie du clinamen qui définit les conditions de possibilité physiques de la liberté entendue alors comme aptitude à rendre effectif, à faire suivre d'une action, une initiative : si par leur déclinaison les atomes ne prennent l'initiative d'un mouvement qui brise les lois du destin et empêche les causes de se succéder à l'infini ( ) d'où vient, dis-je, cette volonté arrachée aux destins qui nous permet d'aller où nous conduit notre plaisir et d'infléchir nous aussi nos mouvements, non pas en un moment ni en un lieu fixés mais suivant l'intention de notre seul esprit ? [...]
[...] v396-397) fait de la nature atomique de l'âme, du corps et de l'esprit (cf III, v161-162) et de leur interaction, les fondements de l'acte libre dans son effectivité. Ainsi, l'urgence éthique invite à circonscrire comme le font Epicure et Lucrèce la nécessité à l'œuvre dans l'agrégat. En attribuant à la causalité naturelle une part d'indétermination, ils indiquent les possibles humains (notamment la capacité de l'esprit à opérer des déviations) qui doivent impérativement être circonscrits et limités à leur tour, afin de permettre à l'Homme d'accomplir ce qui est conforme à sa nature grâce à ce qui dépend de lui. [...]
[...] (sur Démocrite, Jean Philopon, Commentaires sur le Traité de l'âme d'Aristote 12). De fait l'acceptation de la nécessité, entendue comme mécanisme physique inexorable, transforme les conclusions de la physique démocritéenne en points de départ de l'éthique qu'il propose. Le réalisme épistémologique mène le sage à l'indépendance. En effet, si l'Homme n'est que matière, la mort se réduit à une simple dissolution de l'agrégat qu'il forme et elle n'est dès lors rien pour lui puisque la sensation, critère de la vie, disparaît aussitôt. [...]
[...] Loin de penser ces termes à l'aune des catégories de la philosophie moderne, il convient de comprendre comment peut s'envisager une éthique de la corporéité. Si la nécessité ce qui ne peut pas ne pas être- est à l'œuvre dans l'agrégat que forme le composé âme corps, comment envisager une liberté caractérisée par l'aptitude à déterminer des choix de vie ? A partir de quels critères, principes et fins pourrait on alors les motiver ? Comment l'atomisme antique plus fondamentalement dans son moment épicurien établit-il les conditions de possibilité physiques évidentes de l'exercice de la liberté ? [...]
[...] Contre le fait de s'asservir au destin des physiciens (Lettre à Ménécée 134), Epicure affirme que c'est un mal que la nécessité, mais [qu']il n'y a aucune nécessité à vivre avec la nécessité. En laissant une place à l'aléatoire, la physique épicurienne relativise un déterminisme qui en faisant obstacle à la liberté empêcherait tout simplement la vie ( comprise désormais d'un point de vue éthique). Diogène d'Oenanda (fragment rappelle ainsi les dangers du réductionnisme démocritéen en écrivant que selon [ses] propos, il sera non seulement impossible de découvrir le vrai mais même de vivre, ne nous protégeant ni du feu ni du meurtre. [...]
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